Je crois que j'ai compris pourquoi les gens fument. Pasque c'est beaucoup plus pratique. Ben oui, c'est dix mille fois plus simple. Ca prend pas de place, le paquet, le briquet, hop. On peut faire ça n'importe quand et quasiment n'importe où - oui bon on sait ça se restreint vous êtes brimés c'est terrible - mais il suffit de trouver un petit coin à l'air libre et vous êtes soulagé de votre manque.
Pasque moi par exemple, je ne fume pas, mais à 7 ans on m'a mise au piano.
Mon Papa m'a prise entre quatre zyeux, il a dit "bon maintenant tu sais lire, tu ne confondras pas les lettres de l'alphabet avec les notes de musique, tu fais du piano."
"Ne nous fâchons pas ! J'aurai préféré du violoncelle ou de la flûte traversière - pourquoi diable ? - mais bon d'accord..."
Et j'ai commencé, j'ai appris laborieusement le solfège, point trop n'en faut, les gammes, l'indépendance des mains, les doigtés. J'ai changé de prof au gré des déménagements, j'ai fait des morceaux de plus en plus longs, j'ai appris à m'échauffer, à refaire cent fois les deux mêmes mesures, puis à rajouter celle d'avant sans m'énerver et tout enchaîner. A utiliser la pédale. A travailler au métronome, à maîtriser un passage à un tempo bien supérieur à celui visé, et aussi - le secret - à ne pas oublier de travailler à un tempo bien inférieur. J'ai compris que mettre des mots peut aider à faire sortir la musique mais que la grandeur de la musique c'est qu'il n'y a pas les mots. J'ai appris à faire bouger chacun de mes 10 doigts en indépendance et en autonomie presque parfaite, à n'utiliser que l'articulation main-doigt et ne pas bloquer plus haut, à jouer très fort et très doucement, à engager plus de force d'énergie et de muscle quand c'est nécessaire et à pouvoir me défouler en jouant comme on hurle.
Bon ça suffit pas pour être concertiste, ni même pour jouer particulièrement bien non plus. Il n'y a écrit nulle part que je travaillais beaucoup hein.
Mais voilà, aujourd'hui, si je n'ai pas de piano pendant 15 jours et ben ça me manque.
Ca me pèse, il y a quelque chose qui ne peut plus sortir, les doigts sont tout frustrés... D'ailleurs c'est même le fait physique de jouer qui me soulage plus que la qualité de la musique qui sort, c'est encore autre chose.
Or, amis fumeurs compatissez, il est beaucoup plus difficile de jouer un bon coup que d'aller s'en griller une.
L'objet est moins transportable, un synthétiseur me fait l'effet que vous fait une cigarette en chocolat, et si vous avez ce qu'il faut les voisins sont rarement ravis que ça vous prenne à n'importe quelle heure.
Mais inévitablement, si vacances qui dépassent les 10 jours dans un endroit non pourvu, s'installe un véritable sentiment de besoin, urgent même, de dépendance de mes petits doigts à cette cavalcade organisée.
C'est là que j'ai beaucoup aimé le film "de battre mon coeur s'est arrêté".
C'est drôle, les amis musiciens qui l'ont vu ont trouvé qu'il y avait beaucoup trop de digressions ailleurs, et les autres qu'il y avait beaucoup trop de piano. "On le voit jouer pendant des heures, c'est chiant !"
Et oui il joue pendant - n'exagérons pas - des quarts d'heure, et mal en plus. Enfin mal, ce n'est pas du tout satisfaisant. Mais c'est qu'il retrouve après de longues années cette sensation physique de faire de la musique, et il ne comprend pas, c'est dur, alors il se tend, il force, il hurle et s'énerve. Mais c'est qu'il avait cru comprendre que dans la vie on obtient tout avec la force, en criant, en trichant...
Pas quand on pose ses doigts sur un clavier. On a besoin de ses muscles, mais pas n'importe comment ; on met de la force mais pas n'importe quand ; on travaille pour avancer mais la patience importe plus que les cris.
Et toutes ces vérités retrouvées s'installent dans son esprit, il se sent mieux dans la vie un peu. Bon il est encore fier et arrogant, alors il va à un concours, persuadé que ça passera les doigts dans le nez.
Et bien c'est pire que tout. Le piano lui fout une claque énorme. Mais l'instrument le reflète juste lui. Il n'avait pas suffisement travaillé, il a stressé malgré lui, et la perte de l'état de grâce non soutenue par un travail hyper-solide ça ne pardonne pas. La honte absolue, il ne peut même pas jouer correctement les premières mesures, les doigts rippent, ricochent, refusent de se souvenir, sortie de route.
Et ça c'est très vrai aussi.
Mais ce travail au piano le fait renaître un peu, le relie à la mémoire de sa mère, et lui rappelle le goût de l'effort pour un résultat meilleur, pour la musique.
Et quand son copain-collègue appelle ça un loisir, un défoulement, une occupation, au même titre que s'envoyer en l'air, il comprend qu'il n'a plus envie de le voir. Jamais.
Ma chûte ça devait être que j'ai réalisé comme ça qu'on pouvait en fait être dépendant d'à peu près tout et n'importe quoi. Puisque ça nous manque. Des bruits, même a priori désagréables, le journal ou le café du matin, telle petite habitude dont on peut se passer mais en découvrant qu'elle nous manque, la lecture de certains blogs, des personnes aussi bien sûr...
Et à l'inverse, on peut réaliser avec surprise que d'autres choses ne nous manquent pas. Et là dedans il y a aussi des personnes des fois, même que ça serait gênant de l'avouer. t..t..t, pas de chichi, pendant les vacances il y a sûrement des gens à qui vous n'avez pas pensé ;o)
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