Mercredi 29 octobre 2008 à 11:38


Encore Berlin, lundi au petit matin 29 septembre. Je suis trop endormie, je ne profite pas comme la première fois de tout ces murs d'immeubles que nous longeons, peints, ornés, support ironique ou artistique, ou de la saleté de la vie.
Les valises sont trop lourdes. J'accompagne ma soeur qui emménage ici pour l'année, nous nous posons dans un café. Un café qui sent comme chez Dorothée, notre première jeune fille au pair allemande qui a eu l'idée précieuse d'épouser un boulanger-pâtissier-chocolatier vers Cologne. L'Allemagne comme une effluve de pain chaud et de chocolat fumant.

L'agence n'ouvre qu'à 9h. Ma soeur téléphone, il nous faudrait les clefs du studio.
Les valises sont trop lourdes, j'hésite à peine, je l'appelle pour qu'il vienne nous aider. 
Il nous accompagne, à l'agence, déjeuner, jusqu'à l'arrêt de métro d'Ikea.

Il est toujours aussi beau, toujours aussi gentil. Toujours aussi insaisissable dans ses intentions.

Ce soir on va boire verre avec un de ses amis, ma soeur est trop crevée, elle reste nous installer un lit dans le studio sale : du plastique d'emballage ikea, des cartons, une couverture amenée de Paris, la housse de son futur canapé-lit, et la couette par-dessus.
On n'a pu ramener que des petites choses à la force des bras (trop de petites choses), pas de livraison ni de meubles aujourd'hui, car Ikea Berlin ne prend pas la carte visa. Véridique. Même si vous croyez au début que c'est une blague.
Il faut une carte EC (electronic cash), visa ils aiment pas.

Cet ami je l'ai vu en juin, et en juillet, et il était à Paris en février aussi. Et en présence d'un tiers re-belote, mon bel allemand prend un rôle de presque boyfriend officiel. A tel point que le copain croira que, enfin, c'est fait.

Oh non rien n'est fait, rien n'est dit. 29 septembre, le jour de ma fête. Qu'une ancienne amie n'oublie pas de me souhaiter par texto. Une amie à qui je ne veux plus parler, et qui ne comprend pas. Une amie qui a vécu en direct sous mes yeux son histoire d'amour walt disney, qui n'a pas voulu admettre que ça changeait forcément (au moins un peu), la distribution autour d'elle, l'importance, l'intimité de nos rapports. Et elle se rappelle à moi le jour où j'essaie de comprendre pourquoi je n'ai pas le droit à ça, pourquoi ça n'avance pas, pourquoi ; genre j'espère que tu vas bien, il faudrait qu'on reprenne contact, je t'envoie juste un petit quelque chose l'air de rien.

Non ça ne va pas. Parce que je resterai éternellement à ce soir, pleine de ses yeux et de son sourire, à minuit passées en haut de l'escalier du métro, à n'avoir pas su assez tôt que c'était à moi d'aller le chercher. Il avait l'air de ne pas vouloir s'arrêter de sourire jamais, et j'ai eu un réflexe idiot en baissant la tête et en descendant l'escalier. La nuit et le froid.

Le lendemain j'oserai enfin demander à ce copain ce qu'il en est. Réponse (in)espérée : si si tu l'intéresses, on en a parlé ensemble. Quart d'heure de bonheur.
Que l'intéressé pourfend de son indécision. Oui il m'aime bien, mais il préfère rêver à d'autres, installées dans son esprit depuis longtemps - et avec qui il n'y a pas de risque que ça se concrétise ? 

Au téléphone une semaine après il s'excuse à moitié, il n'a pas assez de sentiments pour moi, mais il ne faut jamais dire jamais estime-t-il.



Dimanche 19 octobre 2008 à 20:55

j'ai piqué le titre à Nanou, désolée, c'est le seul qui m'est venu en tête.

J'ai dû avoir la berlue. Jeudi ou vendredi, sur la 14, l'arrivée à Gare de Lyon.
Vous savez, la petite musique et puis l'annonce
     "Gare de Lyon. Descente à gauche.
      Please get off the train on the left
      [bahadapoèladoiskjèrdo]
" transcription phonétique, je ne parle pas un mot d'espagnol.

Et là, soudain, sortie de ma torpeur par l'inhabituel, j'entends
     "Doors on the left
      Uscita per la sinistra
"

Tiens me dis-je, ils ont changé l'annonce. Après tout c'est vrai, pourquoi en espagnol ? Enfin ils se sont adaptés, et tenant compte de la Gare de Bercy toute proche, d'où partent les trains pour l'Italie, proposent la langue corresponDante.
Samedi soir, reprenant la 14, je me dis tiens, je vais vérifier. Et ben ils avaient remis l'originale.
Ils ont fait une blague ?


*

Aujourd'hui j'étais à un baptême. Plutôt bien préparé, et qui a plutôt bien roulé. Des fois ça part vraiment en sucette. Je me souviens de gamins courant et hurlant, et la maman concernée, tante du baptisé je crois bien, qui trouvait bien plus important de filmer approximativement la scène, caméra familiale ondulant à son poing, que de ramener le calme et le minimum d'ordre qui seyait à la cérémonie.
Elle voulait filmer quoi ? Des visages mal cadrés dans une chapelle mal éclairée, sur un format informatique qui ne tiendra même pas jusqu'aux 10 ans de son neveu ?
Pour pouvoir lui dire : j'ai un film de ton baptême, qui fut foireux. Plutôt que de lui avoir assuré une vraie belle cérémonie, à laquelle elle aurait pris part en esprit et pas derrière un écran ?

Aujourd'hui, ça se passait bien mieux. Une amie de la famille avait dégaîné son appareil, mais ce n'était pas trop méchant. Jusqu'au moment du baptême proprement dit.
L'enfant porté par son père au-dessus du baptistère, les frères et soeurs et cousins autour, qu'on avait fait participer, répondre, etc, le prêtre qui lui verse l'eau sur le front, c'est le moment important, ou solennel. Celui qu'elle a donc choisi pour venir se planter juste devant la scène, obstruant la vue à tous les autres témoins, famille et amis et projetant sur le bébé la lumière rouge puis l'éclair indiscret du flash, par deux fois.

Le jour où ce sera mon gamin, elle repartira avec deux dents en moins, la copine

La photo est devenue pour ces gens plus importante que l'évènement qui s'y déroule. Ils ne savent plus participer que comme ça. Voler une image plutôt que de vivre l'heure.
Vous vous souvenez de la blague deux japonais discutent, c'était bien tes vacances ? je sais pas j'ai pas encore développé les photos.
Et bien ça n'arrive plus qu'aux japonais. Et ce n'est plus valable que pour les vacances. Beaucoup de gens peuvent maintenant avoir cette conversation : c'était bien ? je sais pas, j'ai pas pu prendre de photo.
Détachez-vous de ça, rappelez-vous que la photo est soit là pour le souvenir - mais alors ce n'est pas nécessaire de prendre le moment-clef et le gâcher pour tous les autres, ou bien pour être belle - et alors vous n'y arriverez pas comme ça non plus.
 (je ne sais pas ce qu'en pense les grands amateurs ?)


*

J'en ai une troisième mais je ferai ça plus tard...



Lundi 13 octobre 2008 à 1:07

En stage dans un collège-lycée pour ado sourds, en pleine rééducation, on utilise des phrases homophones, j'ai le papier entre les mains :

il est à la merci des conseillers / il est à la mer, si déconseillé

   le maladroit / le mâle adroit
il manipule l'écorce / il manipule les Corses
ce n'est pas une vipère / ce n'est pas une vie, Père !
les pissenlits verts / l'épi sent l'hiver / l'épice en l'hiver / les pies sans l'hiver

Ca me fait trop rire, quel plaisir que de maîtriser le langage aussi bien, comment est-ce possible que de simples jeux de mots procurent autant de plaisir intellectuel, comme une bonne blague.

 

Il y a aussi le Petit fictionnaire illustré d'Alain Finkielkraut, délicieusement il croise des mots pour faire naître de nouveaux vocables fantasques chargés d'un sens lui-même à mi-chemin entre ses pères ou bien qui manquait juste à la langue française :

Alloquacité : plaisir à papoter au téléphone des heures durant Armoure : ensemble des défenses qui protègent l'individu contre la douleur d'aimer Autoraoût : coutume française qui consiste à passer en famille, en voiture, et sur une route sans croisement, le mois le plus chaud de l'année Bahuri : lycéen appliqué Bidingue : qui délire en deux langues Brigoler : éclater de rire en plantant un clou Célibatteur : percussionniste malchanceux en amour

Colles-porteur : marchand itinérant de questions sans réponses Délicaresse : étreinte très douce Eauverdose : torpeur hallucinée de celui qui a séjourné trop longtemps dans le bassin d'une piscine Emirage : cheikh sans provision

Epousetoufler : étonner sa femme par un regain d'appétit sexuel Fainéhantise : peur obsédante de la paresse, du temps mort, de la durée non remplie Fatradition : amas confus de règles de vie, de valeurs et de coutumes légué par les différentes mémoires dont nous sommes issus Imachination : complot parfait ourdi en rêve pour terrasser ses ennemis Macadolescence : jeunesse irrespectueuse de la tradition gastronomique française Néofrite : personne qui se rend en Belgique pour la première fois Phrasque : écart de langage Spontaré : qui profère des inepties sans avoir à forcer sa nature Tergivexer : faire souffrir à force de ne dire ni oui ni non Wagabon : voiture récalcitrante, qui se détache du train et décide de vivre hors des rails


Et le Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des bien nantis de Desproges
J'aime bien la définition du judaïsme : "religion des juifs, fondée sur la croyance en un Dieu unique, ce qui la distingue de la religion chrétienne, qui s'appuie sur la foi en un seul Dieu, et plus encore de la religion musulmane, résolument monothéiste."

 

Et en voyant ces ado, privés par leur handicap d'un bain de langage aussi utile qu'inaperçu pour nous, je me souviens de la longue et lente acquisition de la langue, les mots et leur subtilités, les tournures de phrase alambiquées nécessitant arrêt et explication, trop de choses qui dépassent le collégien parfois, le noie, semblent juste vouloir lui nuire. Que de souvenirs, toutes ces difficultés passées. Quel plaisir de maîtriser l'oral comme l'écrit, de pouvoir rire à ces phrases.

Mais je ne vais rien produire, rien créer grâce à cette maîtrise, cette compréhension chèrement conçue.
Oui ça fait longtemps que j'ai envie d'aider, de soigner. Rééduquer la voix et le langage m'a emballée. Mais est-ce que je ne vais pas être frustrée au bout d'un moment. De ne pas me servir des mots en tant qu'outil et aller plus loin, mais toujours me battre pour que d'autres puisse en acquérir la compréhension, la meilleure utilisation possible, qu'ils mènent leur petite barque sur l'océan du langage... 

Et j'ai bien peur de ne pas pouvoir m'ouvrir de mes questions existentielles à d'autres membres de mon éminente (future) profession. C't'assez corporatiste, z'ont tous morflé pour le concours, en général ça passe mal.


Stage demain.

 


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