Mercredi 31 décembre 2008 à 22:35

Pour raconter un peu, la copine à la seringue du post précédent


Début septembre, j'étais allée voir ma doctoresse en médecine habituelle, pour me plaindre d'un effet secondaire des petites pilules du bonheur qu'elle m'avait prescrites, l'été précédent. 
Je n'en avais plus pris pendant deux mois, déjà en juin j'oubliais, plus ou moins sciemment, plus ou moins régulièrement. Et puis en revenant à Paris, fin août, je m'en étais ré-administré un ou deux jours d'affilé par le travers de l'oesophage (avec deux "f"), et ma langue était redevenue un peu pateuse.
Et j'étais venue dire que c'était pas cool ça.
Et elle m'avait dit que, si je venais me plaindre d'un effet secondaire, c'est que ça allait mieux. Pasque avouons-le, quand ça va pas au point de s'enfiler un médoc tous les matins - que Dieu fait - on se fout des effets secondaires.
Ah ben oui, c'est vrai.
Et ça doit être vrai que ça va mieux, quand même. Quand je me souviens un peu de l'été dernier, la perte de soi-même, noyé dans les idées noires, les envies mauvaise. Et il faut longtemps et des médicaments pour comprendre que ce n'est pas normal.

Alors on a dit que je n'en prendrai plus. 
Un an, presque un an de médicaments. J'étais venue chez elle fin juillet de l'année précédente, poussée par ma mère, désespérée, incapable de travailler, de me concentrer, avec la menace de lourds rattrapages pour septembre, que je me voyais incapable de préparer. Je lui demandai un petit quelque chose pour la concentration. 
Et elle m'avait parlé d'anti-dépresseurs.

Elle avait raison, mais je ne le savais pas. Il faut en sortir pour comprendre que l'état dans lequel on est n'est pas normal.
Et au 1er août, je partais en vacances, c'était le temps des présentations. J'étais un peu gênée. Que dire ? Bonjour, je m'appelle Gabrielle, j'ai 20 ans depuis moins d'un mois, je prends des antidépresseurs depuis ce matin.
Bof.

Mais j'ai pu voir les effets, et cette année en septembre, j'ai pu voir que même sans eux, ma tête était plus légère.

C'est là que j'ai réalisé qu'au docteur qui m'écoute parler, je n'avais pas parlé de ce qui m'avait amenée là.
Enfin est-ce que c'est bien ce qui m'a amenée là ? Je m'en défends un peu, ça ne me plaît pas. Disons les principaux évènements qui avaient précédé.
Il y avait cette année universitaire difficile, peut-être déjà des doutes, sur le domaine, le moment : je suis la 2ème plus jeune de la promotion et je commence à me dire qu'il y a peut-être une raison.
Et puis cette amie. 
Plusieurs années de connivence, profonde, en discussions interminables, ou à demi-mot, sur les petits évènements comme les plus généraux. Des heures à se tailler une bavette entre deux coins de rues, ou des mails d'une longueur à défier toute concurrence, on avait ri en se disant que si on devenait célèbres, les étudiants auraient à se pencher là-dessus avec des prof de français plus ou moins heureux, comme elle le faisait en hypokhâgne. Puis en khâgne, et après un voyage en Afrique, la grammaire parait bien insipide. Mais moi je lui disais que c'était bien tout ça, elle aurait de la matière intellectuelle encore pour longtemps. Moi j'allais avoir un métier, mais plus un cours de philo, d'histoire ou de lettres... 
On faisait de la comédie musicale ensemble, avec un groupe d'amis. D'abord elle était flutiste, puis je l'encourageais à dépasser sa timidité maladive pour chanter le couplet qu'on lui proposait. Mais elle jouait très bien au théâtre, elle en avait déjà fait. La dernière année elle a eu le rôle principal. Et cette dernière année il y a eu un nouveau guitariste. Ils se sont beaucoup plu. Peu à peu, ça avançait, on savait tous ça. C'était bien la première fois que ça lui arrivait, j'étais aux premiers rang de cette histoire, je voyais toutes les étapes se faire, avec autant d'excitation qu'elle, et du bonheur pour elle. Et puis peut-être l'idée que moi aussi, ça finirait bien par m'arriver. Ils ont finit par s'avouer un amour mutuel en décembre, et sont sortis ensemble pour la plus grande joie de toute la troupe. Pendant les week-end de répétition générale, ça semblait un peu taper sur les nerfs de tout le monde de les voir toujours un peu collés. Ca ne me gênait pas plus que ça. Pourtant il y avait bien un problème. Je n'avais pas retrouvé ma place auprès d'elle. La seule fois de la semaine ou je la voyais, comme d'habitude, c'était aux répétitions. Depuis trois ans, j'avais l'habitude l'encourager quand je savais qu'elle avait fait un effort. Maintenant je croisais son regard à lui, c'était son rôle maintenant, et c'est lui qu'elle regardait. Ses mails étaient forcément plein de ce sujet-là. C'était normal, j'étais contente pour elle, mais je n'étais pas à l'aise, je ne savais pas ce que je voulais. Elle voulait que rien ne change. Elle ne voyait pas pourquoi quelque chose devait changer entre nous. Oui c'était elle qui avait un copain, mais ça aurait pu être moi. Euh, certes, mais là c'est toi, et je t'assure que de mon point de vue, ça fait une différence. Et je n'arrivais pas à lui dire, à lui expliquer. Elle a tout nié. Elle a retourné mes arguments, elle m'a gardée là, ici, pas bouger, alors que j'avais besoin de partir, de m'écarter. Elle a refuser de me laisser un peu de champ. 

C'est une histoire affreusement banale je crois. Médiodre même sûrement. Mais je crois que notre vie est juste un peu trop grande pour nous, et on a toujours un peu de mal à la prendre calmement. 
Et j'ai d'ailleurs mis longtemps à comprendre ce que je voulais en fait, dans cette situation où je ne savais qu'une chose : je n'étais pas à l'aise.

Je suis partie en vacances, le 1er août, lestée de mes anti-dépresseurs. Et j'ai rencontré d'autres gens. Des gens qui ne savaient pas qui elle était, d'où je venais, le nom de notre lycée, tout ce monde qu'il renfermait, tous ces gens qui étaient ma société. 

Et ça m'a fait un bien fou ! Un bien extraordinaire. J'ai trouvé ça incroyable, et tellement simple. Ca faisait 6 ou 8 ans que je gravitais un peu dans le même monde, qui n'avait pas bougé après le bac, et j'avais juste envie de voir d'autres vies, d'autres idées. Aux Choralies on a été un petit groupe de 9, on a chanté et la lumière était belle.
En septembre je suis allée au Paris-Carnet et les gens étaient souriant.

Fin septembre je l'ai revue. Un peu changé un peu la même, avec tous les mêmes gens autour. Tous d'un coup, depuis 6 ans les mêmes qui constituaient son monde, et j'ai eu l'impression de mettre la tête dans un sac de poussière.

Je crois qu'en répondant au mail où elle me demandait si ça allait pasque j'avais eu l'air un peu triste ou pas bien ce jour-là, je n'ai pas été très aimable. Ou en tout cas je n'ai pas fait preuve de tact. C'est surtout qu'elle avait loupé des étapes. J'ai dit paraît-il que j'avais rencontré d'autres gens, que j'avais d'autres amis, quelque chose comme ça. lol

Ca fait un an et demi. Je crois qu'elle ne sais pas du tout, qu'elle ne comprend pas ce qui m'a pris, qu'elle se dit que je vais revenir. Et elle m'écrit, des petits mots, pour le nouvel an, mon anniversaire, ma fête, Noël là encore ces jours-ci.
Pour mon anniversaire (près d'un an après), je m'étais décidé à répondre quelque lignes. Je n'aurai peut-être pas dû. Le jour-même elle ré-écrivait, que ça lui faisait plaisir ! Nos discussions lui manquait, quand même, tout ça tout ça... J'ai hésité à clarifier les choses : j'étais partie et c'était bien mieux comme ça. Je n'allais pas revenir-et-tout-serait-comme-avant.

J'avais dit dans ce mail qu'à la rentrée j'essaierai de lui écrire pour lui expliquer, lui raconter. Je n'ai pas écrit le "si j'en ai toujours envie" qui me démangeait. Et en septembre je n'ai pas expliqué. Je ne savais pas comment m'y prendre et je n'avais pas envie d'essayer.
   C'est la première fois de ma vie que je crois qu'en parler n'arrangera rien.
D'habitude je suis pour tout raconter, tout dire, même trop aller, il finira bien par en sortir, ou en rester, quelque chose. 

Mais là j'ai pas envie. Ce serait probablement trop long, il faudrait peut-être le faire à l'oral, et puis avec le recul je ne sais plus comment j'ai vécu les choses sur le coup, j'ai grandi depuis. On était très, et peut-être trop proche. On s'entretenait quand même parfois dans des spirales pas nettes, et si je vais chez un docteur-qui-m'écoute-parler, je sais qu'elle aurait matière à raconter des trucs elle aussi.

Et ce qui m'énerve peut-être le plus, c'est le ton un peu condescendant, un peu garde-malade, qu'elle prend dans les mots qu'elle m'envoie. Que je sois partie, que je l'ai fuie, c'est bien la preuve que ça n'allait pas, et donc quand ça ira mieux je reviendrai. Et tant que je ne suis pas revenue... Du coup elle me demande de mes nouvelles comme à quelqu'un qui traverse une épreuve. 
Oui ça n'allait pas, mais je me sens beaucoup mieux ! depuis qu'on n'est plus ensemble (j'ai conscience d'employer un vocabulaire de couple), et je n'ai pas l'intention de revenir !
J'ai grandi, j'ai appris plein de trucs, je me débrouille.
Ca va bien merci :o)
   

Tout ça est un peu bête. Plus j'en écris plus ça me paraît douteux, et pourtant je pense tout ça. Et je suis bien contente d'avoir tout raconté. Même si c'était (très) long.
Merci Gilda !



*

Mercredi 17 décembre 2008 à 19:41

Souvent je suis à la nage, parce que je suis plus petite, et qu'ils aiment bien ma cadence.
Je suis donc à la pointe du bateau, enfin à l'arrière, puisqu'on est placé de dos par rapport à la direction suivie. Bref je suis en dernier, il n'y a plus personne devant moi, pas de dos ployant sous l'effort, que le bateau qui s'amenuise pour finir un peu plus loin, et l'eau.
La Marne tout autour, calme, clapotant, bleue, recevant dans le creux de ses vaguelettes tous les reflets que lui envoient les arbres, et le soleil parfois qui voudrait que ses éclats dorés épousent le bleu foncé. Et moi je suis assise là, sur l'eau presque, je glisse et découvre toujours un peu plus de nappe bleue bruissante. 
Au-dessus des berges, la végétation est encore fournie, et les couleurs magnifiques et diverses. Les verts se déclinent et alternent à mesure qu'ils défilent, et s'y intercalent des bruns, des marrons, un panel de jaunes jusqu'au doré, des rouges plus ou moins brillants. Et l'écorce, la terre, les plantes qui s'accrochent aux arbres, les barques et les pontons des habitants de l'île, les briques les murs les maisons. 
Mais l'eau sur laquelle je suis assise, au sec, et qui me rend inatteignable.








  
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