Mercredi 22 avril 2009 à 23:15

Je me suis aperçu vers dix heures et demie qu'il n'était plus à mon poignet.
Les autres ne se souvenaient pas me l'avoir vu ce matin.
J'ai fait le tour des trois cafés sur la place de la Bastille dans lesquels nous avions pris un petit déjeuner ce matin-là*, rien ; j'ai refait le trajet de métro les yeux au sol, regardant sur les quais, sur les rails, dans les escaliers, les couloirs, même un petit coup d'oeil vers les poubelles, rien. Le trajet entre chez moi et le métro, rien. Chez moi, sur le Que sais-je "la littérature allemande" à la couverture rouge emprunté à Melle Moi à plat sur l'étagère noire où il était ce matin quand je l'ai pris, avec la sotte idée d'être élégante en toute occasion, absent.
C'était un joli bracelet, unique, création originale, cadeau de ma maman, et qui m'attirait toujours des compliments. Ca fait un peu plus d'un an que je l'ai, et je ne peux pas croire qu'il ait disparu, je le vois. Là, si réel.
S'organise alors dans ma tête le désagréable jeu des "tu préfères ça, ou ça ?" Avoir perdu ce bracelet, ou ça ; avoir perdu ce bracelet, ou qu'il t'arrive ça, ou qu'il arrive ça à untel ?
C'est parfaitement, idiot, stérile et énervant.
Toujours l'idée de n'avoir pas su prendre soin de mes affaires, faire attention.
Mais j'y crois, je vais le retrouver, il doit être quelque part ce n'est pas possible.

Si je n'y crois pas, je ne cherche pas, je ne peux pas le retrouver. Mais si j'y crois trop fort, trop longtemps, le moment où je dois lâcher prise n'en est que plus difficile.

J'ai compris un jour que c'était une décision à prendre. Au bon moment probablement, rester en équilibre, l'espoir qui permet l'énergie, et le renoncement qui permet de faire face au fait.

Je me suis fait voler un vélo un jour.
J'avais entendu des gens dire ça "on m'a volé mon vélo", ça paraissait être un fait clair et bien exécuté.
Mais en fait c'est juste un douloureux renoncement et une manière de s'avouer qu'on ne va plus le revoir. A moins d'avoir vu quelqu'un partir avec, on ne peut que finir par dire qu'on se l'est probablement fait piquer, on a dû le prendre.
Je décide à un moment de lâcher prise.

Je rêve d'un monde où les voleurs (de vélo) laisseraient des petits mots :
   "je t'ai volé ton vélo, je te jure que c'est vrai tu ne le reverras plus tu peux arrêter de chercher"


"Quand les choses ne vont pas, il y a toujours un point de basculement où on arrête de lutter, où on entérine le problème comme définitivement insoluble, et on où cherche des palliatifs plutôt que des solutions."
Chez
Finis Africae



* c'est pas de la gnognotte la queue pour les billets d'opéra !

Jeudi 16 avril 2009 à 23:27

A 1000 km à l'est, où j'aimerai être, dans une ville qui se construit encore et toujours.
Du S-bahn, par la fenêtre je bois la vue, et compte pas moins de 11 grues de chantier dans mon champ de vision.

La chaleur est inattendue, les pauses nombreuses, les kilomètres innombrables.

Le soleil brille brille brille.
Aperçu de l'office des ténèbres du samedi saint dans la cathédrale. Balcon à l'étage pour les touristes. Agacement et perplexité à l'entente du bruitage intégré maintenant à tous les appareils photo numériques (en plus du bip au défilement) qui reproduit le son d'un appareil argentique lors de la prise. Il est particulièrement malvenu dans une église en pleine prière, et parfaitement étrange de toute façon : pour faire croire qu'on utilise un "vieil" appareil ? dans un souci de copie, de fausse authenticité, de perte des repères du réel physique ? peut-être pourrait-on intégrer un bruitage dans les paires de baskets, pour imiter les talons aiguilles ?
Dans la crypte les cercueils ouvragés des rois. Un triste "namenlos Prinz", tout petit.

Je ne repars pas sans Pfefferminz Tee, quelques Ritter Sport, du liquide lentille de chez Rossmann. Je m'offre un kaiserschmarnn avec de la Bionade - je n'ose pas emporter la bouteille.
Ma grand-mère m'offre les aimants des fameux
Ampelmännchen.

De la beck's lemon les pieds dans le sable, des käse-bretzel dans l'herbe. Quelques trombones. Des chocolats de Pâques. Des restaurants italiens et mexicain, des sushis.
Suivre le même rythme à six personnes pendant cinq jours.

A 1000 km à l'est le soleil se lève bien plus tôt.


Devant moi une vieille dame, le dos un peu voûté par les années, le chignon soigneusement piqué d'épingles d'où s'échappent quelque mèches, regarde, plisse les yeux pour essayer de reconnaître.
Elle essaye de retrouver les lieux qu'elle a connus.  
Elle est arrivée avec son jeune époux, dans une base militaire, marquée par les quatre ans d'occupation subis par son pays, à cause de ceux d'ici. Et la désolation l'a saisie, la tristesse la douleur. Le Tiergarten sans un arbre, transformé en champ de pommes de terre. La statue éventrée d'un cheval dans laquelle couche un homme. L'épuisement des berlinoises qui reconstruisent la ville à la main tout le jour durant, elles qui avaient tout perdu. L'incompréhension soudaine qui étrangle.
Et un élan d'amour pour ce pays, l'envie d'apprendre sa langue de se connaître et de construire ensemble.
Elle ne reconnaît pas ces lieux que l'on mettait des jours à atteindre depuis la France. Les changements ont été trop radicaux. En 60 ans pensez donc.
A l'aube de sa vie d'épouse et de mère, une vie chargée, elle a vécu ici, dans une ancienne maison d'ouvrier construite dans les années 30, et qui a semble-t-il été détruite il y a moins d'un an. Une maison qu'elle a rejointe, après trente heures de train, avec sa fille de quelques semaines née en France pour répondre à un père inquiet.
Elle regarde.
Qu'est-ce qui défile devant ses yeux ?

Entre jeunes allemands et français aujourd'hui on peut parler de la guerre. Et on est heureux d'être assis à la même table et de partager les mêmes verres.



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Vendredi 3 avril 2009 à 1:13

 
J'ai toujours été jalouse du chef d'orchestre, pasqu'il est le seul à avoir le droit de bouger avec la musique. 
Bon je gigote pas mal aussi hein, en fait.
Mais c'est aussi très beau à regarder, comment il bat la mesure, ou pas, comment il pousse, soulève ou fait décoller son orchestre. Très drôle aussi parfois, s'il sautille et se balance sur ses pieds pour insuffler le rythme, et que parfois il est emporté et fait un bond sur son estrade. On n'entend pas forcément le bruit, et parfois si. Celui aussi de l'air qu'il brasse, de la baguette tapée sur le pupitre par inadvertance...
La supériorité du concert auquel on va sur l'enregistrement audio, outre une qualité de son et de résonance, c'est qu'on voit. On voit ces gens qui jouent de l'instrument, on voit des efforts, on en devine d'autres, les mains les bras les doigts les corps les visages. Les yeux vers le chef ou la partition. On voit les tournes de pages, on voit les archets, les mimiques échangées, sourires ou grimaces, les instruments qui ne jouent rien pour le moment, détente provisoire et incomplète. Voire même ceux qui n'interviennent plus qu'à la fin de l'acte, et s'éclipsent par la petit porte du fond de la fosse d'orchestre, plaisir de savoir les secrets d'interprètes du spectateur assis haut sur le côté.
On voit toutes ces choses qui ne font absolument pas partie de ce que le compositeur a écrit.
L'orchestre ou le chanteur a pour mission de produire un beau son, on ne s'occupe pas de l'effet visuel, il sera la conséquence de toutes les actions nécessaires à l'obtention de la musique.
Le danseur lui doit produire une belle image. Ses gestes, tout son corps se plie à cette discipline et tend vers ce but. Mais danser impliquer nécessairement de toucher le sol, d'y retomber, que les pieds frottent, que les jambes se croisent et que l'air se déplace parfois bruyamment. Le froissement des costumes. Aussi des inspirations et des soupirs, pour que la position, l'arabesque, la pirouette, la danse en fait se fasse telle que le chorégraphe l'a imaginée. Et la supériorité du ballet vu en direct sur l'enregistrement vidéo, c'est qu'on entend le bruit des pointes sur le parquet. Inimitable. Ineffaçable ou masquable, inhérent à l'exécution même. Et qui en fait toute la saveur.

L'amateur, celui qui aime, est peut-être celui qui veut voir la musique et entendre la danse.


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