Dimanche 23 mai 2010 à 16:51

Dans mes études, des fois je bâcle des partiels pasque j'ai même pas relu le cours en entier avant de venir, des fois je suis très en retard sur la lecture d'articles un peu trop compliqués, avec dedans ce genre de phrases : "nous en considérons la modélisation comme orthogonale à notre propos", et dont je dois rendre une analyse (ou une synthèse ?) bientôt, des fois je suis toute énervée contre un prof qui fait des cours qui n'ont pas de rapport avec l'intitulé et qui donne un devoir qui n'a pas de rapport avec le cours, et qui me le renvoie pasque c'est pas bien rédigé. D'autres fois je dois lire des Que sais-je dont je n'avais même pas soupçonné l'existence et je suis en retard aussi, ou encore il y a eu micmac administratif et j'ai suivi le mauvais cours et en fait maintenant j'aurai 4h d'affilée le jeudi aprem ça va être dur. Ce cours du jeudi après-midi il est un peu plus dans la pratique, la voix tout ça, et l'intervenante qu'on avait cette semaine elle a promis qu'elle allait nous secouer un peu, elle était pleine de vie et d'entrain mais j'aime pas qu'on me secoue. Alors je m'attendais au pire.
Et puis ça s'est trèès bien passé, je dois être celle à qui elle a fait le moins de remarques, c'est la première fois depuis des mois que je peux chanter le lendemain d'un concert - expérience similaire un mois auparavant dans le même cadre, tout pourri - j'avais même pu chanter, enfin !, à tue-tête avec tout le monde assise dans le bar après le concert, le bonheur absolu.

Mais surtout, surtout, dans cette salle de classe j'ai vu un mec faire des pompes devant une douzaine de nanas en chantant "Que je t'aimeuh" avec un accent à la Francis Cabrel, et ça, ça valait le coup de rester 4 heures.

Dimanche 2 mai 2010 à 23:35

Revenir exprès d'Isère, d'une maison avec piscine, par une chaude journée de voiture, pour aller à l'opéra. Ca avait intérêt à être bien, groumph. Moyen d'humeur, encore une fois un peu limite pour l'horaire (que voulez-vous, le temps de décider ce que je portais)(quoique, la cloche ne sonnait même pas, pas mal quand même), je m'effondre à côté du copain pour qui j'avais pris une place et qui a fait que j'ai retenu cette date-là, et je l'engueule d'être aussi en avance, en plus.

http://gamace.cowblog.fr/images/BillyBudd.jpg

Donc, Britten, je connais pas, en pleine mer et en pleine guerre, que des hommes (ce qui fait plaisir à un certain guichetier de Garnier paraît-il :o). Pour présenter chaque histoire l'Opéra de Paris écrit quelques lignes dans les programmes et après ils nous ressortent exactement les mêmes pendant 1 an, c'est relou, mais enfin vous ça vous intéresse probablement en fait, je vous le mets :
"L'innocence et la beauté de Billy Budd, embarqué sur un navire de guerre, sont livrées en pâture à la méchanceté des hommes. Inspiré par Melville, Billy Budd est l'âpre récit de l'inéluctable sacrifice de l'ange."  

Je ne me souviens déjà plus de l'ouverture.
Ah non, c'est normal, y'a pas vraiment d'ouverture, le rideau est déjà levé et un vieil homme, ancien capitaine, veut nous raconter une histoire qu'il a vécue, un homme qu'il a croisé sur un bateau, un cas où il n'a pas su quoi faire, et ça le hante encore.
A la place de l'orchestre je ne serais pas tranquille, avec ce gros bout de pont de bateau en pointe à l'avant-scène qui menace de glisser et de me perforer le dos. Marins à quatre pattes, qui briquent. Manoeuvre, agitation, punition non méritée. Sévérité, cruauté, fouet.
Opéra en anglais, étonnant d'entendre du chant lyrique avec des vrais mots anglais dedans, avec la diction que ça exige et tout. Le ténor qui tient le rôle principal, américain, fait tous les efforts du monde pour avoir un accent grand-breton.

L'action se passe en 1797, l'Angleterre est en guerre contre la France (et/ou l'inverse), batailles navales,
la situation est tendue, la discipline terrible, la crainte qu'elle rompe encore pire, les chefs craignent par-dessus tout une mutinerie, ce qui est arrivé coup sur coup dans deux autres bateaux. Adieu les droits de l'Homme. On enrôle de force, un tailleur, un ébéniste qui en sont désespérés, et Billy, Billy Budd, marin. Enfin une bonne recrue.
Billy Budd est heureux de travailler sur ce bateau, BB est beau, BB est bon, il est surnommé Baby, Beauty par les autres marins, qui l'aiment. Juste il bégaye s'il y a trop d'émotions. La beauté n'est jamais parfaite concluent les recruteurs. La routine reprend, c'est toujours aussi dur, et il apporte la bonne humeur. Scène de camaraderie, le soir, entre les hamacs.
Et incident. Billy est parti à son sac chercher de la chique pour un vieux marin, et il y trouve un gars la main dedans. L'idée vient en fait du maître d'armes, Claggart, nous on le sait déjà. Billy cogne un peu le marin, et l'officier est obligé de sourire. Mais il est obsédé par Billy, trop bon, trop gentil, trop doux. Lui se considère comme démoniaque, venu des bas-fonds, ne sachant gérer, manipuler, vivre que dans la haine et la douleur. Il se sent menacé par ce gamin angélique.
Il doit le détruire. C'est lui ou l'autre.
Ce premier marin qu'il avait à sa botte est grillé. un deuxième. Un pauvre gosse qui ne supporte pas le fouet, et jure de faire n'importe quoi si Claggart peut le lui éviter, lui éviter la douleur atroce, et l'humiliation de ne pas la supporter, d'en pleurer sur un navire de guerre.
L'officier lui demande alors de compromettre Billy.
Le marin refuse, pas celui-là !
Mais il n'a pas le choix.
Un soir alors il tire Billy de son sommeil, et lui raconte qu'ils sont quelques uns à s'être organisés, à vouloir se révolter, contre leur esclavagisme. Il lui demande s'il veut bien être leur chef, lui montre quelques pièces d'or que Claggart lui a données. 
Cette scène était à mon sens le plus beau passage de l'opéra, harmonie du chant absolument magnifique, et très beau personnage dit du "novice" composé et chanté par François Piolino. Billy s'indigne, non ! il ne trahirait pour rien au monde.
Pour le novice, c'est l'échec, la peur.
John Claggart lui ne se démonte pas, il faut qu'il fasse quelque chose avec Budd, il décide d'inverser l'accusation et de se plaindre au capitaine.
L'entretien accordé par le capitaine est interrompu, on annonce un navire ennemi tout près, on pourrait l'attaquer, enfin, des semaines qu'on navigue sans rien voir, la tension dans l'équipage  est palpable, les hommes ont besoin d'un exutoire. Il y a de la brume et peu de vent, mais on se rapproche, branle-bas de combat ! Agitation, le triangle avant de la scène se soulève, et apparaît l'intérieur du bateau. Sur le pont maintenant surélevé on avance des canons, les officiers debout à la poupe, les tambours. Tirez !
Trop court.
Et le bateau français s'enfuit et s'efface dans la brume. Maudite brume.
Que disiez-vous Claggart ?
Et Claggart accuse Billy de fomenter, une mutinerie. Mot terrible.
Le capitaine n'y croit pas, mais se doit de respecter la parole de son maître d'armes, il doit les confronter, on fait venir Billy Budd. Celui-ci est sommé - assez sèchement, par le capitaine - de se défendre et de répondre à l'accusation portée contre lui. Billy, qui vient de chanter les louanges du capitaine, qui croyait qu'on le faisait venir pour le nommer chef du gaillard d'avant, est abasourdi, bout, bégaye, et frappe Claggart qui s'écroule mort au sol.

C'est là que réside toute la conscience torturée du capitaine Fairfax. C'est pour la suite qu'il nous raconte cette histoire, qui continue à l'empêcher de dormir.
Il convoque ses trois officiers supérieurs. On couvre le corps. Il énonce les faits. Billy l'a supplié de le sauver, juré qu'il donnerait sa vie pour lui. Les officiers ont trois avis parfaitement différents et chantent en désaccord. Mais s'unissent pour dire qu'ils ont toujours besoin de l'avis de leur capitaine.
Le jugement est vite fait. Billy est reconnu coupable d'avoir frappé un officier supérieur. Coupable d'avoir tué un officier supérieur. C'est écrit noir sur blanc dans le code militaire, verdict : la mort.
C'est mathématique.
Et le capitaine sait trop bien qu'il faut respecter les règles. Mais vraiment la contradiction interne est terrible.

Commencent alors les dernières heures de Billy Budd. Christiques.
On l'attache dehors pour la nuit. Le vieux marin ami lui porte un biscuit et à boire. Il se sent partie de l'univers et admire le rayon de soleil sur l'eau. I am content (il est beaucoup content sur la fin, bizarrement).
Bien sûr l'exécution est publique, les autres doivent y assister, ils détourneront les yeux prévient-il.
Alors la corde est passée au coup de Billy Budd, marin, il bénit le capitaine Fairfax, et on le lâche.
(mise en scène affreusement réaliste).

Et lorsque un voile noir s'abaisse pour séparer le fond de la scène du devant où s'avance le capitaine, le mat sur le pont du navire ressemble beaucoup à une croix, et on comprend l'idée du sacrifice de l'ange.

   Comme j'ai un peu de lettres - les fois où ça tombe bien - il se trouve que j'ai lu Bartleby, (le "I would prefer not to" guy) du cher même Melville au début de l'année. Et j'ai même essayé de me farcir la postface de Deleuze mais je crois que je ne l'ai pas finie.
Mais tout de même, j'ai bien retenu le parallèle entre ces deux personnages qui traversent la vie des hommes comme une ligne étrange et lumineuse. Incompréhensible et stupéfiante, source de questions et d'angoisse sans fin pour celui qui, à côté, voit.
Dans ces deux histoires, ces deux personnages nous sont racontés par un homme qui a été responsable d'eux, à un moment, et qui en est resté fasciné, désarmé, et ne peut toujours pas comprendre. 
Et leur histoire commence quand ils croisent cet homme qui se met à regarder le mystère.


J'ai bien peur que cette explication fasse encore plus christique (surtout la fin). C'est pas tellement voulu. Rassurez-vous moi non plus je comprends pas très bien ce que je dis, là.
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