Vendredi 20 août 2010 à 16:52

Je suis un peu inquiète en fait. Ca me paraît encore plus à l'arrache que l'année dernière, si c'est possible. Peut-être parce que j'ai le cerveau plus au ralenti qu'il y a onze mois, quand il bouillait de la soutenance et de la fin. 
Je n'ai qu'un billet aller, et encore pas jusqu'au bout. Je fais mon sac incroyablement lentement alors qu'il n'y a pas grand-chose à y mettre. Tiens, question existentielle : je préfère faire les choses vite ou lentement ? Réponse parfaitement ambivalente ici.
J'ai peur qu'il y ait trop de monde, j'ai peur que ce soit désagréable, j'ai peur de ne pas trouver la gare routière, j'ai peur de ne pas pouvoir me loger, j'ai peur de passer à côté des gens, comme d'habitude. Je vois tout d'un coup la chaleur parisienne et je me dis que ça va être pire. Je vois mes pieds se crisper de marcher dans Paris et dans des sandales un peu grandes et je me dis que ça va être bien pire. Mais j'ai, presque sur un coup de tête, décidé que je devais y aller, que c'était là qu'il fallait que je fuie, que je n'allais pas me supporter si je restais ici devant l'ordi, à écouter ma soeur déchiffrer la partita n°1 de Bach, beaucoup trop vite.
Alors je vais y aller. Ca ira mieux dans le train.

Lundi 16 août 2010 à 23:04

Comment je m'appelle ?
M., deux ans demain, est assis sur la table à langer, la couche bien scotchée sur les hanches, enfin propre et sec et en pyj et tout. 
- Comment je m'appelle ?
Et je voudrais vérifier s'il connaît mon prénom.
- Toi c'est M. et moi c'est... ??
Mais il préfère pointer le doigt vers les trucs rouges qui ont élu domicile sur mon menton, bien contre mon gré.
- Bouton...
- C'est pas ma question ça bonhomme. C'est quoi mon prénom ?
- Bouton...
- Purée je te babysitte depuis ta naissance, cette année je suis allée te chercher tous les lundis à la crèche, à devoir montrer patte blanche, à attendre le mois de janvier que tu me reconnaisses vraiment et que ça fasse moins kidnapping ; en ce mois de juillet je vais te récupérer tous les jours absolument et tu peux pas trouver mon prénom !?
- Bouton ?
- Non je m'appelle pas bouton, non.
Et là, au moment où je vais me résigner, il baisse la tête et le doigt accusateur qu'il tendait vers mon menton pour pointer mon gilet :
- Boutons !
Oui !! Magnifique, incroyable, que c'est beau, l'émergence d'une conscience métalinguistique comme un lever de soleil éclatant et prometteur sur le cerveau de cet enfant, j'ai la larme à l'oeil. Bravo bonhomme.
Ne jamais désespérer.

Mardi 10 août 2010 à 17:11

Bon. Il y a un vachement grand intérêt à partir en vacances avec des cousins psy-etc, car en cas de coup de mou, on peut faire de la bonne analyse sauvage, là, au milieu de la nuit, enfoncé dans de grands fauteuils, dans la maison endormie.

Sinon, ça va, je parais toujours aussi pâle à côté de mes soeurs mais je crois bien que je suis bronzée. Je lis tout ce que je peux, et j'ai dû retourner chez le bouquiniste du village (boutique extraordinaire, livres du sol au plafond, recoins, sur et sous et dedans des étagères de toutes sortes et un patchwork de caisses de vins, photos pas encore prises) demander en urgence "La petite marchande de prose" après avoir fini trop vite "La fée carabine." J'ai trouvé mon premier trombone, en garant mon vélo pour aller écouter ma soeur faire le piano-bar dans un resto du coin. Continuer en famille à cultiver le boycott du buraliste-etc d'ici - tradition héritée des années 60 ! - qui, au lendemain de la tempête qui laissa les habitants sans électricité ni eau, vendait 9 euros les 6 litres de flotte. The show must go on. Véridique. Plus cher que l'essence.
Aller alors tous les jours à vélo au village d'à-côté acheter le journal. Sacrifier ce soir avec bonheur à la tradition de la sortie  at THE restaurant tous au grand complet (ou presque, manque un petit cousin cette année). Je m'applique à prendre le flegmatique accent bordelais et à dire c'est gavé bien et y'avait gavé de monde.
Et puis surtout jouer à la pêche aux prénoms dans ce paradis pour sociologues : beaucoup de Victoire, et puis Charles, Marie-Astrid, Aristide (15 mois à peine, bienvenue jeune homme), et je crois bien avoir croisé, s'éloignant dans une poussette, une Albertine.

Mardi 3 août 2010 à 18:23

S'éloigner de ses questions récurrentes, de Paris et des obsessions qui m'y attaquent la tête.
Aller passer quelques jours devant ce qui est, j'en suis à peu près sûre, le plus beau paysage du monde.


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Regarder sa place dans sa généalogie, faire de drôles de déjeuner entre femmes, sur trois générations, et me dire que je viens de là, ou que je fais partie, que je m'inscris là.
Se reposer sur elles.
Et admirer la vue, plonger dans la piscine (bon il a juste commencé à faire plus gris et venteux le jour où je suis arrivée), faire des siestes et beaucoup lire. Manger aussi, à 8, 10, 12 à table.
Me faire emmener pour un (petit malheureusement) tour à moto avec mon oncle, ce dont je rêvais depuis longtemps mais il n'avait pas casque supplémentaire (finalement emprunté aux gardiens). Et je préviens : je suis à la merci du premier motard venu !!
Ou alors du nouveau boulanger du village. Vous voyez Nicolas Duvauchelle dans Avril ? Pareil. J'en ai été tellement émue que j'ai oublié mon porte-monnaie - que j'ai dû revenir chercher... :D


http://gamace.cowblog.fr/images/DSCF8840.jpg

Au bout de quelques jours quitter ce paysage le plus beau du monde, pour un grand trajet maintenant rituel. Regarder ma mère finalement refuser de conduire après vingt minutes de remarques (sur un ton relativement posé, certes) de son mari - le tout absolument sans éclats de voix, mes parents ne sont pas du tout du genre disputes bruyantes - et mon père ne rien comprendre à ce qui s'est passé. Ma soeur râler parce que papa n'a pas voulu prendre un auto-stoppeur qui avait une tête sympathique.

Et puis approcher finalement, ouvrir grands les fenêtres et sentir la mer juste là.
Passer le pont. Et traverser l'île de bout en bout. L'oeil habitué distingue les digues neuves, les pontons reconstruits, la plage toute redessinée.
Demain pour la dernière fois poser ses fesses dans la voiture, avant de louer les vélos qu'on ne quittera plus. Ici la bonne hauteur est une selle, à pied on se sent trop bas, en voiture presque impensable.

Lire encore, manger, pédaler, se baigner. Bronzer, un peu, en tout cas plus que l'année passée ! où en plein mémoire j'étais à peine sortie et étais restée enchaînée à ma table.
Se souvenir de ces moments difficiles. D'un coup y replonger au détour d'une conversation et se rappeler soudain à quel point ça a été horrible. Le poids sur la poitrine. D'autres nuits d'insomnie fébrile ici, de pleurs et d'autres décisions. Plusieurs années maintenant de souvenirs et de petites traditions estivales.
C'est la maison des cousins, où mon père a passé plus de dix ans de vacances d'enfance. Ce qui me donne l'idiote impression de soulagement d'être à peu près légitime ici, quand mon père s'étonne chaque été des nouvelles constructions et nous décrit les champs des années 60. Un peu plus légitime que cette drôle de population bien peu mêlée socialement, tous sosies. En suis-je ou n'en suis-je pas ? Je sais : il n'est peut-être pas besoin de savoir. Mais la question m'inquiète, allez savoir pourquoi.
Penser à autre chose. Avoir quelques moments de vague à l'âme soudains, parfois provoqués par les réflexions, les réponses ou les non-réponses des autres. Profiter de ces vacances, du petit cousin qui nous couvre de câlins et de baisers du matin au soir, jouer avec lui au ping-pong, ou presque. Enfin l'intérêt d'avoir mis la table dans une salle tout exprès, c'est que ça rebondit partout, le jeu s'interrompt moins. Redécouvrir la complexité que c'est de regarder les infos avec un enfant de 7 ans pas loin, quand ça parle d'infanticide et de mines à sous-munitions.
M'apercevoir que j'ai du mal à ne pas m'isoler, me planquer à des moments incongrus, vouloir disparaître ; du mal à faire comme les autres et vivre au rythme doucement enchaîné des activités logiques en de telles circonstances. Par exemple, maintenant, ils sont tous à la plage.
Il suffit de presque rien.

Mais tenter de profiter surtout, c'est peut-être la dernière année, la maison doit être vendue.


Me dire seulement, en cherchant désespérément l'évolution positive, que ça fait bien longtemps qu'on ne m'a pas dit que je me posais trop de questions, et ça fait du bien.
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