Le dernier chapitre de Fusillé vivant d'Odette Hardy- Hémery, "L'impunité du haut commandement", contient une partie intitulée "Amnistie, amnésie".
Elle contient des citations autour de la justice militaire, l'oubli, le jugement, l'amnistie qui en découle souvent et qui a l'air due à l'amnésie dont semble souvent frappé le haut commandement.

L'ouvrage suit l'affaire des "Fusillés du 327e RI", en se focalisant principalement sur le fantassin de réserve François Waterlot qui a, fait incroyable, survécu à cette exécution arbitraire, est retourné au combat et est mort au front le 10 juin 1915.

J'ai juste relevé quelques citations, sans parfois beaucoup de contexte, mes excuses, mais qui peuvent donner envie de creuser plus.

Aux généraux ayant ordonné des exécutions non fondées convient parfaitement cette seconde signification juridique de l'amnésie qu'énonce Eric Millard : Des fais ont été commis. Ils constituent des délits. Des personnes pourraient être condamnées pour les avoir commis. Les autorités juridiques sont privées de la possibilité d'une telle condamnation. 
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Par cette amnistie, l'Etat se protège lui-même. La République française a souvent usé de cette pratique, qui équivaut, pour Stéphane Gacon, à "l'oubli institutionnel". Elle n'a jamais reconnu avoir commis des "crimes" envers ses propres soldats. "L'amnistie commandée" ne peut répondre, écrit Paul Ricoeur, qu'à "un dessein de thérapie sociale d'urgence, sous le signe de l'utilité, non de la vérité" et l'unité nationale se trouve réaffirmée par une "liturgie de langage".
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Reprenons la citation de Pierre Vidal-Naquet :
Hérodote de Thourioi présent [...] son enquête pour empêcher que ce qu'ont fait les hommes ne s'efface de la mémoire avec le temps, [...] notre société, les classes et les groupes sociaux qui la dirigent fonctionnent exactement à l'inverse. Tout est fait, télévision, manuels, publicité, pour que l'on ne se souvienne pas, pour que la mémoire ne soit pas transmise, pour qu'un oubli sélectif bien sûr s'installe.

Les délits commis par les autorités militaire ont été recouverts par la formidable production d'oubli organisé qui a suivi l'armistice de 1918 et qui perdure encore. L'une de ses formes est la marée de commémorations, de cérémonies officielles, d'hommages aux morts invoquant plus ou moins la fatalité de la guerre. Car l'"héroïsation des victimes sert à étouffer leur calvaire. Car ces manifestations tendent à faire disparaître le sens du poignant, du pathétique, le souvenir vivace de la souffrance endurée, ainsi que la nécessaire réflexion collective sur la gravité de l'injustice et de la criminalité de la guerre, comme sur la portée contemporaine.

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Certes, l'on évoque volontiers le souvenir des fusillés pour l'exemple, mais beaucoup moins la responsabilité et l'impunité du commandement qui les fit exécuter, l'implacable chaîne de commandement qui, de Boutegourd à Joffre et de Joffre à Boutegourd, assura la mise en oeuvre des exécutions de la première année de la Grande Guerre.
Le "devoir de mémoire" médiatiquement martelé depuis des années participe au mécanisme central destiné à faire oublier ce qui doit l'être pourvu que la nation fonctionne. Pour sans cesse la faire revivre, il faut cultiver l'amnésie. "Une nation, disait Renan, c'est aussi une communauté d'oubli." Le philologue allait jusqu'à prôner la méfiance envers l'histoire et à préconiser l'erreur historique : "L'oubli et, je dirais même, l'erreur historique sont un facteur essentiel pour la création d'une nation, et c'est ainsi que le progrès des études historiques est pour la nationalité un danger."


Tout cela résonne, fait réfléchir, rire un peu jaune parfois, et met en face d'alternatives : que croyez-vous qui soit le mieux : perdre la connaissance des faits historiques ou bien la notion de nationalité ? J'avoue que je ne sais pas à quel point Ernest Renan est ironique - ou pas - là.
Pour faire ça bien, je vous donne les principaux ouvrages dont sont extraits les citations et qu'Odette Hardy-Hémery cite dans ce chapitre de son ouvrage :
Eric MILLARD, "Epurations, amnisties, amnésie. Un bref éclairage sur le droit", Mémoires, identités, représentations. Histoire comparative de l'Europe, n°3, université de Toulouse-Le Mirail, novembre 1999, pp. 112-121.
Stéphane GACON, "L'Oubli institutionnel", in Dimitri NICOLAÏDIS (dir.), Oublier nos crimes. L'amnésie nationale : une spécificité française ?, Autrement, 1994.
Paul RICOEUR, La Mémoire, l'Histoire, l'Oubli, Editions du Seuil, 2000.
Pierre VIDAL-NAQUET, Les Crimes de l'armée française. 1954-1962, La Découverte.
Ernest RENAN, Qu'est qu'une nation ?, Pocket, 1992.