Mercredi 31 décembre 2014 à 21:57

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Ma maman était une grande lectrice, une grande amateure de littérature, une grande admiratrice des classiques, de l'Italie, de Dante. Elle avait commencé une licence de lettres classiques, fini en lettres modernes. Elle avait fait du latin, du grec, de l'italien. Tout ça sans travailler suffisamment d'ailleurs avait-elle toujours dit, mais enfin c'était une littéraire, qui vivait entourée de bouquins, des grands classiques aux parutions récentes ; elle était d'une famille de lettrés, de papetiers savants, d'un grand-oncle qui avait découvert trois pensées inédites de Pascal et avait proposé une nouvelle classification de leur ensemble à la lumière de ces feuillets miraculeusement sortis du néant car il en aurait reconnu l'écriture. Classification pas particulièrement retenue par les spécialistes du genre mais qu'importe. Des gens cultivés.
L'Italie, Florence avaient toujours tenus une place particulière dans le coeur de ma mère. Elle avait une reproduction d'une toile représentant le Duomo vu depuis une fenêtre et une rose à côté, et avait été fort vexée quand je n'en avais pas voulu dans ma chambre. 
Elle vivait dans ce bouillon vaguement brouillon de culture qui n'avait pas pris forme - elle n'était ni professeur, ni traductrice, ni rien de professionnellement culturel - mais qui faisait partie de son être et de sa manière de (se) penser. La littérature, l'Italie, le grec, Chrétien de Troyes faisaient partie du grand ensemble de ses enthousiasmes admiratifs qui faisait d'elle quelqu'un de plein et de vivant.

Par ce qui n'est sûrement pas un hasard, c'est elle qui a hérité d'un vénérable camée présent dans la famille depuis des générations et représentant Dante. Il semble que cette lointaine branche de la famille ait été d'origine italienne. C'est une bague qu'elle portait tous les jours et je l'ai toujours vue avec.

Mon père n'avait aucune idée de pourquoi il était extrêmement touchant que ce soit sa femme, Béatrice, qui ait hérité de cette bague à l'effigie du poète florentin. 
Je le lui ai appris cet été.

J'ai envie de pleurer à chaque fois que j'y pense.




Jeudi 18 avril 2013 à 23:45

Vendredi 12 avril, dernière matinée de travail ici, dernier trajet de retour, dernier passage par la Butte aux Cailles, la rue des Cinq Diamants, le passage Jonas sous les immeubles, la station Corvisart où je sais que je peux attraper le métro s'il arrive quand je finis l'escalier et que je cours (et que j'ai le feu vert. Pas la peine d'arriver morte).

Il y a quelques semaines sur cette ligne 6 j'avais lu un des poèmes affichés aux extrémités des wagons, que j'avais trouvé très joli, doux et romantique, pas alambiqué, pas niais, qui m'avait touchée. Je n'avais retenu ni le titre ni l'auteur, et n'avais qu'un très vague souvenir des mots exacts employés dans ces quelques lignes. Avec si peu je n'avais même pas tenté une recherche internet.

Et ce dernier trajet de retour où j'ai je crois raté un métro, marché dans un sens et dans l'autre sur le quai, changé de porte au dernier moment, m'a fait miraculeusement asseoir au bout d'un wagon, sur un strapontin d'où j'ai fini par lever les yeux sur ce poème-là.

            Vous m'avez dit tel soir des paroles si belles
            Que sans doute les fleurs qui se penchaient vers nous
            Soudain nous ont aimés et que l'une d'entre elle,
            Pour nous toucher tous deux, tomba sur nos genoux.

Emile Verhaeren
Extrait in Les heures d'après-midi, 1905.


 
Oui, parfaitement, j'ai un fond romantico-fleur bleue sentimental, ça tpose un problème ? [t'as voir ta gueule à la récré]

Dimanche 27 janvier 2013 à 22:52

 
J'ai cru longtemps que Papa viendrait me chercher au lycée. Marthe sans doute aussi, qui m'habillait de son mieux, assurant qu'il faut toujours, dans les soucis, faire bonne figure.
   En pelisse en col de fourrure, c'est mon grand-père qui vint m'attendre un soir, examinant le groupe sculpté du hall. Il était rude, imposant, cet homme, et tout en lui m'effrayait - cette façon aussi de me pincer la joue en geste d'affection !
   M'escortant sur le chemin du retour, il observait chaque maison du Ranelagh. Désirait-il tout abattre pour mieux reconstruire ? On le fera - plus tard et sans lui.
 - Ca va bien en classe ? a-t-il demandé.
 - En français oui, plutôt.
 - Et en maths ?
Silence. Le vieux monsieur s'est écarté :
 - Alors, tu es nulle ?
 - Pas si on m'aide.
 - Il te faut des cours particuliers ? a-t-il fait d'un ton réprobateur.
   Il hésite puis il me déclare tout net :
 - A quoi bon aider les faibles ?

   Cet homme fort, je le revois, plus tard, incliné par l'âge et me tendant pour dessert les biscuits de Reims et le bordeaux vieux qu'on lui réservait. Ce grand-père, avait-il enfin, et sur le tard, besoin d'affection ?
   Je n'y pensais plus.

Anne Walter, L'inachevé, Actes Sud, pp. 44-45.


"A quoi bon aider les faibles"
Me l'a-t-on dit, me l'a-t-on fait sentir juste par l'exemple ? En tout cas je suis imprégnée de cette idée, pour moi et pour les autres.
A combattre.
Je suis persuadée maintenant qu'il y a des paliers, et que certaines choses sont tout d'un coup plus facile à un certain moment, dans un certain contexte. Même s'il faut parfois s'accrocher, certes :o)


Vendredi 27 avril 2012 à 21:06

Je me suis enfin inscrite à la bibliothèque de la ville d'à-côté, pas immense mais c'est déjà ça. J'ai emprunté six ou sept bouquins d'un coup. Alors que j'ai encore des choses qu'on m'a offertes il y a plusieurs années et que je n'ai pas lues, et puis d'autres livres que j'ai achetées récemment ou il y a plusieurs mois et qui ne sont toujours pas ouverts. En plus des bouquins qu'on m'a prêtés et qu'il faudrait quand même que je rende dans un délai raisonnable, donc les lire.
Je rentre en me disant que je vais tout faire ce soir, cette nuit. J'ai toujours l'impression au soir d'avoir devant moi un temps infini, et que je vais pouvoir réaliser des merveilles et que demain je serai apaisée.

En fait je tire sur la corde du sommeil. Les yeux tirés font partie de la lecture, de son plaisir peut-être, mais aussi de son exigence. L'impossibilité de lâcher un bouquin comme celui de lâcher le paquet de biscuits (qui m'est maintenant interdit, remplacé par des bonbons). Il est quelques livres que j'arrive à lire de manière raisonnable, mais c'est rare. Je ne suis pas une lectrice raisonnable, je déteste lire sagement, un chapitre par un chapitre. Même s'il doit m'arriver de dire que ça fait partie de mon idéal d'accomplissement, comme faire du sport et du chant tous les jours. Moi qui suis experte dans la retenue et la frustration de soi dans bien des domaines, je refuse de saucissonner les aventures des personnages, de leur assigner des horaires où je daignerai les rejoindre. Lire un roman ce n'est pas faire venir des vies nouvelles jusqu'à moi, c'est aller jusqu'à elles, me plonger dedans, et n'accepter d'en ressortir que par absolue nécessité, ou pour un soupçon de bienséance (les cours, les repas lors des vacances familiales). C'est moi qui vais vivre leurs vies avec eux. Ce ne sont pas leurs aventures qui vont déteindre sur ma terne existence.

J'essaye aussi d'exorciser ma nouvelle "rechute" de romans à l'eau de rose, ceux-là aussi se lisent extrêmement vite, ne nourrissent pas toujours suffisamment, et comme le paquet de bonbons qu'il m'arrive parfois au prix d'un grand effort de volonté de lancer sur le canapé hors de ma portée, j'aimerais pouvoir en arrêter ma consommation.
Je ne sais pas si je les considère comme indignes, peut-être, sûrement, je ne les inscris pas dans ma liste de bouquins en cours sur ce blog par exemple. Et surtout je me dis que dans une autre vie je n'en aurais pas eu autant envie.
Je me dis de temps en temps qu'il va bien falloir que je retourne mettre les choses à plat sur ce que je pense de ça, encore, maintenant. Puisque même le psy, qui était payé pour, n'a pas voulu en entendre parler. J'ai toujours peur de me monter la tête quand je dis ça, et en même temps j'en suis tellement sûre. C'était déjà dur pour moi, à dire, à formuler, à reconnaître, à savoir qu'en dire, à accepter d'en dire quelque chose. Et en même temps j'aurais tellement voulu en parler, le touiller, le secouer, l'ouvrir, le disséquer, en disséminer les morceaux, les ratatiner pour voir, même si ça devait bouger encore après tout ça.

Pense-t-on des choses en-dehors de notre rapport aux autres ? A ce que les autres en pensent ? Sûrement, mais ça n'a déjà plus grand chose à voir.



Je me dis que j'aurais dû raconter des petites choses d'ici, façon instantané de société, qui auraient sûrement pu rebondir les uns sur les autres, et l'actualité. 
Mais non je n'arrive qu'à gémir sur mon sort. C'est affligeant, attristant, déplorable, déprimant, désolant, émouvant, lamentable, pénible, pitoyable. pitoyable.

Jeudi 26 avril 2012 à 21:52

Tombée cet après-midi sur M. Onfray sur France Inter.
Je n'ai pas lu ses ouvrages, je ne peux donc avoir d'avis sur le personnage, à part qu'il a l'air provocateur et semble souvent à charge.

Mais il a cité Sartre avec une phrase que je ne connaissais pas du tout et que je trouve juste, très intéressante :

Au-delà de ce que je suis de par l'hérédité et de ce qu'on a fait de moi par le milieu et l'éducation, il y a ce que je fais avec ce que je suis et ce qu'on a fait de moi.
(pas de source)

Formulé par Onfray ça donnait :
nous sommes ce que nous faisons de ce qu'on a voulu faire de nous.

Du coup j'en ai trouvé une autre, issue des Mains sales, qui me plaît infiniment, moi qui aime à me penser comme ayant été une enfant (infiniment) sage, même s'il m'arrive de trouver quelques contre-exemples :

Ce sont les enfants sages, Madame, qui font les révolutionnaires les plus terribles. Ils ne disent rien, ils ne se cachent pas sous la table, ils ne mangent qu'un bonbon à la fois, mais plus tard ils le font payer cher à la société. Méfiez-vous des enfants sages !
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