Mais pourquoi je cogite autant ?
Est-ce ma manière d'appréhender le monde ? De sentir le réel ? D'être sûre que j'existe, que je vis, que ça m'arrive ?
Et là voyez, plutôt que de tenter de ne pas cogiter (ahah, comme si), je préfère faire de la méta-cogitation, c'est plus sûr comme moyen de m'éloigner de mon objet de cogitation premier, le truc qui m'étreint le cerveau ou plutôt la conscience.
Pourquoi je cogite sur les choses comme ça. Est-ce vraiment ma seule manière de me sortir des évènements, ou de pouvoir prendre une décision ; à quoi est-ce censé me servir d'ailleurs, quel est le but ?
J'ai l'impression qu'il s'agit de désamorcer, de tout bien visiter en détail, faire le tour de cette chambre noire et laisser bien tout démonté, dans l'espoir que la vérité ou la réponse en sorte. Ou bien qu'en tout cas surtout ça ne pourra plus bouger tout seul ; je cogite pour vérifier bien de quoi il est question, je vais visiter tous les couloirs, tous les rouages, ou j'essaye, je cogite pour épurer un peu la vase, pour la séparer des merdes d'oiseau qui sont tombées dedans après.
Il faut beaucoup d'eau pour tout ça.
L'eau qui tient le marasme au fond, l'eau sur laquelle est tombée la fiente.
De l'eau pour les recueillir, pour les séparer, pour les nettoyer, pour les diluer, l'eau qui reste, qu'il faut tenter de recycler.
Cogiter pour épuiser le sujet peut-être, l'effacer, le noyer, l'amoindrir le ramollir.
C'est-y pas terriblement égoïste toute cette cogitation ? Si. Et tous ces billets aussi, et ça me gêne encore plus, et ça fait partie de cette question de mais pourquoi diable être aussi autocentré.
Mon gilet et mon foulard sentent le feu, j'aime bien ça. J'ai fait un feu dans lequel j'ai brûlé les doubles des questionnaires qui constituaient la base de données de mon mémoire. Je ne sais pas combien de temps il faudra garder les originaux. Et ça a bien brûlé. Ca fait plein de cendre, le papier imprimante. J'ai longuement regardé ces liasses de papier en train de se consumer, détruire et admirer.
Je cogite, l'eau coule sur mes joues (pour le nettoyage, vous comprenez bien), et ma tante ronfle à côté.
Je finis par me réfugier à l'étage d'au-dessus, sans chauffage, où je trouve un lit fait.
Je m'étais dit que pour une fois j'allais dormir dans une chambre chauffée, raté.
Mais je préfère le silence à la chaleur.
Le froid au bruit.
Un bon vieux côté solitaire qui revient. Qui a pu se transformer en ne vous occupez pas de moi, laissez-moi tranquille, n'attendez rien de moi, surtout, ne me regardez pas comme ça, laissez-moi. Tout me stresse. Ou toute responsabilité me stresse. Organiser une fois par semaine un petit rendez-vous avec des étudiantes, trop stressant, trop pas sûre que c'est bien comme ça, que ça ira, que...
Avoir bien vu pourtant déjà que la plupart du temps ça se passe bien, qu'il s'agit juste de se lancer, qu'on y arrive tout à fait correctement, que c'est agréable et que ce n'est pas étouffant.
Mais lâchez-moi, laissez-moi, je vais aller trouver un trou, un terrier, quelque chose où fuir et me faire oublier.
J'ai cru à une fin de l'impossible. Et maintenant je deviendrais bien le python, mais ces échappatoires n'existent que dans les livres, et là, encore, il faut que je fasse avec cette réalité. Oui c'est mieux que rien, c'est mieux qu'avant,
Mais je crois que j'y ai cru. Que j'y ai cru vraiment, un moment, probablement. Que oui, tout le monde avait eu raison, ça finissait par me tomber dessus.
"Je fus pris d'espoir et d'encouragement à aspirer"
"C'est ça, justement, l'espoir, c'est l'angoisse incompréhensible, avec pressentiments, possibilités d'autre chose, de quelqu'un d'autre, avec sueurs froides."
Et j'en ai marre d'attendre les étapes.
Je vais aller me terrer.
Lisez Gros-Câlin d'Emile Ajar pour l'histoire autour des citations.