Lundi 30 mars 2015 à 0:52

Ma mère est morte.
Maman est morte.
 Ma maman est morte.
Sa maman est morte doivent dire les autres.
Sa mère est morte.
Ta maman est morte.
Elle est morte.

Ca ne fait toujours aucun sens.

Jeudi 30 octobre 2014 à 0:56

Elle avait mis six mois à le convaincre. C'en était devenu une blague, un running gag, un truc dont toute la famille était au courant. Même pendant l'été, quelques mois avant la date prévue du voyage, il riait en disant que c'était inutile : il avait déjà vu la gare centrale de la ville, lors d'un déplacement professionnel, nul besoin d'aller passer un week-end un Amsterdam pour fêter leurs 25 ans de mariage.
Mais elle avait réussi à le convaincre, tout était prévu, et elle prenait les blagues avec bonne humeur.
On avait aussi essayé de lui expliquer que du coup, avec sa femme, il allait peut-être visiter le reste de la ville, qui était censé avoir plus d'intérêt que la gare, même si ça ne faisait pas partie de son échelle de valeurs habituelle ; sans même parler du fait que s'il avait mis les pieds dans la ville, elle jamais, et que si elle avait envie d'y aller, et vu que le projet n'avait rien d'extravagant, l'idée de faire plaisir à son épouse pouvait être une motivation valable.

C'est l'été où les douleurs dans la nuque ont commencé, et après un léger mieux en septembre, ont empiré en octobre.

Je me souviens être descendue de ma chambre le matin où ils étaient censés partir, et d'avoir été étonnée de trouver ma mère dans le salon.
On repousse le voyage, me dit-elle, j'ai trop mal au dos, je ne le sens pas, je préfère attendre que ça aille mieux.

Je trouve mon père dans la pièce d'à-côté, qui mi-penaud mi-inquiet, me dit on repousse le voyage, Maman a trop mal au dos. Il était finalement tout déçu, après avoir semblé combattre le projet pendant des mois, et opposé une certaine résistance, faite de passivité et de gentilles moqueries de dénigrement, à l'unique expression de célébration de leur quart de siècle ensemble.
Ils avaient fait une grosse fête pour les 10 ans, on avait fait un petit voyage en famille pour les 20. On referait une grosse fête pour les 30.

Mais les douleurs ont encore empiré, et elle est morte six mois plus tard.
Elle n'est jamais allée à Amsterdam.

Mercredi 13 août 2014 à 0:57

J'ai été avec tout un tas de gars dans ma vie.
Si je rêvasse, me reviennent des bribes, ou des genres de fresques de l'histoire, des moments précis, des sensations, des conversations. Les émotions sont parfois intactes, d'autres fois devenues fades. Certains d'entre eux n'ont plus d'importance. Mais je sais bien qu'ils en ont eu, ce jour-là, ces temps-là, beaucoup.
J'ai fait tout un tas de choses avec chacun, on est parti en vacances, en week-end, on a fait des projets réalistes et des plans sur la comète, on a discuté des nuits entières, on s'est soutenus, engueulés,  on a ri, on s'est souri. J'ai rencontré leurs parents, leurs amis, leurs frères et soeurs, ils sont venus dans ma famille pour les vacances, on a fait des choses insignifiantes mais délicieuses, ils ont pu me faire tourner en bourrique mais aussi me faire tourner la tête avec leurs mots, leurs gentillesses, leurs attentions, leur voix, leurs yeux, leur doux sourire. En me faisant sentir aimée, tout simplement. Ca a été des histoires courtes ou plus longues, quelques fois en dents de scie, quelques fois surtout physiques. Je ne dis pas qu'on ne s'est pas trompés, un peu, beaucoup, et que personne n'a souffert. Ils ont pu être durs avec moi, me faire perdre confiance par moment - ça partait je crois d'une bonne intention, mais je suis trop influençable - ou au contraire m'assurer, me rassurer, tellement, j'en devenais presque sûre de moi, j'y étais presque, j'allais basculer, mais toujours quelque chose me maintenait dans l'incertitude, quand j'avais l'impression de me réveiller et de regarder la situation plus froidement. J'ai parfois l'impression que je ne savais rien à l'époque, que j'étais aveugle et sourde et coupée de la réalité. Des gens. Des échanges sociaux qui ont l'air si évidents pour les autres.
J'ai été avec tout un tas de gars. Je me souviens des émotions quand je n'étais pas sûre, je me souviens de la douceur de découvrir la réciprocité, et les douleurs des réalités qui me rattrapaient. On a vécu des situations plus dramatiques, parfois un peu mélo, quelques incidents, quelques accidents. Les fins qui ne veulent pas finir, la douleur qui traîne, la flamme qui ne s'éteint pas, les retours, les démentis cinglants. Ca finissait toujours dans les larmes, de mon côté en tout cas.
Ca finit toujours dans les larmes.
J'ai été avec tout un tas de gars dans ma vie, mais aucun n'est au courant.

Mercredi 2 octobre 2013 à 2:21

Non, je ne veux pas être ton amie. Ce n'est pas ce que je cherche, pas maintenant, pas toi.  Ce n'est pas ce que je veux de toi. Arrête donc de m'inviter à nous lier virtuellement par tous les médias. J'ai cliqué oui et puis j'ai cliqué non. Ce n'est pas ce que j'attends. J'ai eu le temps de voir tes photos de week-end. Je n'ai vu qu'une ombre qui m'a parue petite. Mais trop près. Je trouve ça tellement injuste. Chacun son tour de se faire avoir. Arrête de me proposer cette amitié qui ne m'intéresse pas. Peut-être un jour si tu es au bout du monde, ce sera très bien. Pourquoi est-ce que je me retrouve toujours dans une situation où c'est l'autre qui décide, qui impose, qui peut souffler le chaud et son contraire, suggérer un verre puis être rentré chez soi. Ai-je tant besoin d'engranger de frustration ? Je préfère quand on flirte. Mais je t'ai vu maintenant d'autant plus démonstratif que tu as décidé de ne pas passer à l'acte, enfin c'est ce que j'en comprends. J'en pleure de rage. Ou de tristesse. Comment je me fourre dans des situations pareilles. Comment je tombe toujours sur des gens pour qui c'est d'une telle facilité. Qui me racontent innocemment des lieux communs pour eux, que je n'ai jamais vécus, mais ils ne le sauront pas. Est-ce cela que je poursuis chez eux ? Dans l'illusion qu'ils pourront me le procurer ? Alors qu'ils ne peuvent pas me le procurer. Alors que j'ai de plus en plus l'impression que rien ne pourra rattraper le manque. Je crois que cette fois-ci me paraît pire. Je te trouve inconstant, mais j'ai peur que tu sois finalement bien arrêté dans ta décision. Et je n'ai rien à dire évidemment. Je suis dans une position qui m'interdit d'élever la moindre plainte face à tes mots. Pas de mots pour moi, pas d'espace de "réponse". Je n'ai qu'à me débrouiller, aussi. Et je ne vois aucune formule qui ne serait pas accueillie avec amusement, indifférence, moquerie, agacement, dédain. Qui ne serait pas trop grandiloquente. Qui ne donnerait pas l'impression que je t'ai donné une importance démesurée. Pas tant que ça, en plus. J'ai juste été privée d'une situation agréable, sans discussion. Ca m'emmerde, et je voudrais le faire savoir. Je vais sûrement finir pas faire un truc un peu trop dramatique, on va mal se comprendre, il y aura méprise, engueulade comme un jour sur deux depuis deux semaines, et on ne restera peut-être pas amis. Je voudrais savoir pourquoi tu as pris cette décision, ou pas, en fait, ça dépend. J'aimerais savoir comment tu réagirais si on avait une tentative de discussion sur le sujet, ou pas. J'ai moi-même du mal à énoncer des arguments. Je voudrais juste dire ce que je ressens sans que ça fasse un fromage, ou si.  Je me sens complètement coincée. Et nulle.

Mardi 23 juillet 2013 à 22:54

 On a monté en même temps l'escalier de la sortie de métro, à Bercy, elle était à ma gauche je crois, 45 ans environ, un léger hâle, j'ai pensé qu'elle était des Antilles ou peut-être juste du Portugal, quelque chose dans son visage. Mince dans un long manteau beige chaud et on s'est retrouvées au même passage piéton, après un virage à angle droit.

On est plusieurs à attendre, dont un grand monsieur de bel allure, façon Villepin, la cinquante ou la soixantaine fière et la mèche blanche au vent, col du pardessus noir relevé, gansé de pourpre.

Trou de voiture, je passe la première moitié et attends sur l'îlot central, quatre mètres plus loin.

Derrière moi la conversation s'engage.
- Bonjour ma belle. Je peux vous appeler ma belle ?

Je n'entends pas la réponse.
Avant de comprendre que je n'entends pas de réponse. Qu'il n'y a pas de réponse, qu'elle est en train de balbutier, de chercher ses mots, de trouver quoi répondre à ça, parce qu'en fait non elle ne connaît pas ce monsieur contrairement à ce que j'ai pu croire il y a une seconde lorsqu'il a parlé.

J'ai tourné mon visage pour jeter un coup d'œil, discrètement.

Après le balbutiement le silence.
Et l'homme apparaît à ma droite. Puis passe avant moi, avant le vert la seconde partie du passage piéton et avance à grands pas vers le Ministère.

J'attends finalement sagement le feu, traverse, et remonte sans me presser dans la même direction, qui est la mienne.
Je vais presque lentement parce que je pense qu'elle m'a vue. Qu'elle a vu que j'avais vu, et qu'elle a peut-être envie de me parler, comme ça.

Oui. Je l'ai à peine vue venir, elle n'a même pas attendu d'être vraiment à ma hauteur pour commencer à parler, non mais vous avez vu, quelqu'un que je connais à peine, par un collègue, que j'ai vu une fois, et il me dit ça. J'ai 50 ans me dit-elle, je n'ai pas envie d'être traitée comme ça.

Cette scène a eu lieu il y a des mois, je ne garantis plus le mot par mot mais l'idée est là.

Que pouvais-je répondre dit-elle. Mon vieux ? Mon beau ? On suggère des choses, ça finit en rires, et on se sépare au pied de l'escalier du Ministère.

Et je suis contente d'avoir été là, d'avoir suivi la scène et qu'on ait pu parler, et qu'on ait pu se moquer de lui ensemble, qu'elle ne porte pas cette apostrophe grotesque et agressive sur les épaules toute la journée pour tenter de la raconter le soir à quelqu'un qui n'était pas là et qui ne saura pas forcément comment réagir.
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