Ils sont quatre, il y a le père qui est français, la mère qui est polonaise. Ils ont une fillette de 6 à 8 ans, née à Belfast, et un petit garçon de 6 mois, né à Dublin. Ils sont à côté de moi dans l'annexe consulaire de l'ambassade de France à Dublin où je viens faire refaire mon passeport.
Ils viennent eux faire inscrire le plus jeune sur le passeport de ses parents, ou bien lui faire faire son propre passeport, et je crois le déclarer à l'état civil du même coup.
Ils voudraient qu'il ait le nom de ses deux parents accolés, le français puis le polonais ; et comme sa grande sœur n'a que le nom de son père pour l'instant, ils veulent en profiter pour faire inscrire le nom de sa mère sur son passeport à elle aussi, que les deux frère et sœur aient le même nom.

On leur explique d'abord que comme leur fille est née à Belfast, ce sont les lois du Royaume-Uni qui s'appliquent et que c'est techniquement au pays de Lilibeth number Two qu'elle a été déclarée, il faudrait donc aller voir l'ambassade anglaise à Dublin pour ça. Et puis, l'enfant a déjà au moins 6 ans, et il fallait la déclarer dans les 4 ans suivant sa naissance,  maintenant ça devient une autre paire de manche, il faudrait les papiers de la clinique, tout ça.

Vous ne comprenez pas comment il se fait qu'elle ait un passeport mais ne soit pas déclarée ? Moi non plus. De même que les parents visiblement. Et puis si ça se trouve elle n'a pas de passeport encore, il faut lui en faire faire un à elle aussi ; mais si on sait qu'elle n'a que le nom de son père pour le moment, c'est bien qu'elle a un papier d'identité, déjà. Que manque-t-il donc ? Tout le monde patauge, mais il y a cette histoire des 4 ans qui sont dépassés.
On s'enfonce assez vite dans les logiques si évidentes et si opposées de l'administration face à la vie et de la vie face à l'administration. Ça évoque une litanie de documents et de démarches qui font pâlir les spectateurs.
Ils sont deux maintenant du côté de l'administration, le père est accoudé face à eux, le petit est dans son siège par terre, la maman est assise en face de la vitre ou debout, la grande sœur passe des genoux de la mère à ceux du bébé qu'elle veut amuser. Les parents communiquent en anglais. 

On passe à la question du nom du petit garçon. Celui du père puis celui de la mère, c'est ça ? Oui, donc le nom de la mère s'il vous plaît, K....A. Mon fils doit donc s'appeler K...I.
Ah ben ce n'est pas possible madame, dit l'État-Civil par deux voix, sinon il n'a pas le même nom que vous.
Mais ce n'est pas possible répond la mère qui en écarquille les yeux, c'est complètement absurde, c'est un garçon, donc il doit avoir son nom qui termine par un i, c'est comme ça que ça se passe en Pologne, il ne peut pas avoir le nom de sa mère, c'est ridicule.
Mais non madame, il doit avoir exactement le même nom que vous, à la lettre près, on ne peut pas changer une lettre.
Mais ça n'a aucun sens, mon nom sous sa forme actuelle est fait pour être porté par une fille, ce n'est pas un nom de fille, c'est un nom pour les filles, mon fils ne peut pas porter mon nom sous sa forme féminine !

L'État-Civil reste inflexible et répète à deux voix que le nom de l'enfant doit être le même que celui de la mère, toutes les lettres doivent êtres les mêmes.

Mes démarches sont terminées, je pars sans savoir ce qu'il adviendra des deux logiques, et de cette femme qui voudrait que son fils porte son nom, son nom comme il doit être porté en Pologne, qui voudrait que son fils porte le nom qu'il doit avoir dans son pays maternel, tout simplement.
Peut-être auraient-ils dû commencer par l'ambassade polonaise... Et encore.