Du S-bahn, par la fenêtre je bois la vue, et compte pas moins de 11 grues de chantier dans mon champ de vision.
La chaleur est inattendue, les pauses nombreuses, les kilomètres innombrables.
Le soleil brille brille brille.
Aperçu de l'office des ténèbres du samedi saint dans la cathédrale. Balcon à l'étage pour les touristes. Agacement et perplexité à l'entente du bruitage intégré maintenant à tous les appareils photo numériques (en plus du bip au défilement) qui reproduit le son d'un appareil argentique lors de la prise. Il est particulièrement malvenu dans une église en pleine prière, et parfaitement étrange de toute façon : pour faire croire qu'on utilise un "vieil" appareil ? dans un souci de copie, de fausse authenticité, de perte des repères du réel physique ? peut-être pourrait-on intégrer un bruitage dans les paires de baskets, pour imiter les talons aiguilles ?
Dans la crypte les cercueils ouvragés des rois. Un triste "namenlos Prinz", tout petit.
Je ne repars pas sans Pfefferminz Tee, quelques Ritter Sport, du liquide lentille de chez Rossmann. Je m'offre un kaiserschmarnn avec de la Bionade - je n'ose pas emporter la bouteille.
Ma grand-mère m'offre les aimants des fameux
De la beck's lemon les pieds dans le sable, des käse-bretzel dans l'herbe. Quelques trombones. Des chocolats de Pâques. Des restaurants italiens et mexicain, des sushis.
Suivre le même rythme à six personnes pendant cinq jours.
A 1000 km à l'est le soleil se lève bien plus tôt.
Devant moi une vieille dame, le dos un peu voûté par les années, le chignon soigneusement piqué d'épingles d'où s'échappent quelque mèches, regarde, plisse les yeux pour essayer de reconnaître.
Elle essaye de retrouver les lieux qu'elle a connus.
Elle est arrivée avec son jeune époux, dans une base militaire, marquée par les quatre ans d'occupation subis par son pays, à cause de ceux d'ici. Et la désolation l'a saisie, la tristesse la douleur. Le Tiergarten sans un arbre, transformé en champ de pommes de terre. La statue éventrée d'un cheval dans laquelle couche un homme. L'épuisement des berlinoises qui reconstruisent la ville à la main tout le jour durant, elles qui avaient tout perdu. L'incompréhension soudaine qui étrangle.
Et un élan d'amour pour ce pays, l'envie d'apprendre sa langue de se connaître et de construire ensemble.
Elle ne reconnaît pas ces lieux que l'on mettait des jours à atteindre depuis la France. Les changements ont été trop radicaux. En 60 ans pensez donc.
A l'aube de sa vie d'épouse et de mère, une vie chargée, elle a vécu ici, dans une ancienne maison d'ouvrier construite dans les années 30, et qui a semble-t-il été détruite il y a moins d'un an. Une maison qu'elle a rejointe, après trente heures de train, avec sa fille de quelques semaines née en France pour répondre à un père inquiet.
Elle regarde.
Qu'est-ce qui défile devant ses yeux ?
Entre jeunes allemands et français aujourd'hui on peut parler de la guerre. Et on est heureux d'être assis à la même table et de partager les mêmes verres.