gamace

Ca a commencé par un plancher. Bien solide, pas très palpable. Je ne sais pas depuis quand il est là. Je m'en suis rendu compte pendant un long trajet en voiture en famille, temps gris, traversée de la France au milieu du mois d'août, l'approche des rattrapages, ce voyage qui rend l'avancée du temps plus concrète.
   Je venais de rendre le volant à mon père, toute ma concentration relâchée d'un coup, la fatigue qui remonte, assise derrière lui, coincée entre les sacs, les nuages gris je me dis tiens, je suis sûre que là par exemple, tout de suite, je suis capable de faire une petite descente, de m'enfoncer dans la tristesse sans raison, de pleurer à chaudes larmes au milieu du cocon.
Bien sûr que j'étais capable de faire ça, quand même, j'avais de la pratique.
   Et bien non, c'est à ce moment que je me suis aperçue que je n'avais plus de toboggan à ma disposition, que j'étais assise sur quelque chose de solide que rien ne pouvait traverser, j'avais d'ailleurs du mal à trouver mes outils habituels de descente, ils étaient comme insaisissable dans mon esprit, volage, pas du tout disposés à m'aider, d'ailleurs je ne savais plus ce que je cherchais. Etrange.
Et puis ça été après les rattrapages je crois. Je m'attendais à languir des heures sur le canapé, ne pas arriver à me lever avant 11h sans être capable de dormir non plus, aucun repos, des nuits allongée sans dormir, des jours debout sans être éveillée. Vide d'énergie et d'entrain pour tout.
   Ben nan. Je me levais plus tôt que prévu, j'ai trié des milliers de choses, osé enfin jeter ce qui ne me plaisait plus... tellement avancer !
Et puis ça a dû s'accélerer encore à un moment, je sais plus, je me rappelle avoir eu cette sensation pendant quelques jours d'être soulevée par une montgolfière en version sac à dos.
Je ne sais pas si elle m'a un peu lâchée ou si je ne m'en rend même plus compte ; mais elle a dû faire son boulot, me déposer en lieu sûr, en zone sécurisée, où je ne peux rien attraper de dangereux, une zone assez haute pour que je revois le bon côté des choses, comme les enfants qui demandent à être dans les bras de leurs parents pour enfin voir le dessus de la table, nettement plus sympa que le dessous.

Mais alors c'est tout biologique tout ça ? Il suffit de quelques molécules et hop, ça vous remet sur la bonne case ? On a quelques fois des vertiges comme ça en cours de neuro-anatomie ou de psychiatrie quand on nous explique les dernières recherches sur telle maladie, en fait due semble-t-il à un déficit de telle enzyme ou neuro-transmetteur. On voit tout d'un coup tous les sentiments dirigés par la biologie. C'est pas comme ça que je voyais les choses, je pensais à l'inverse, l'emprise des sentiments sur le physique, je voulais pas prendre un médicament tout les matins.
Et puis maintenant je comprends. On est bien comme ça, même plus envie de descendre, rien ne vient vous chatouiller du fond de l'étang.
Mais, quid du poids du psychisme ? Et Les mots pour le dire alors ?
Et voilà le revers, impossible de voir l'intérêt d'aller discuter avec un "jardinier professionnel" comme dit Koz. Moi qui n'avait pensé qu'à ça, j'ai pour le coup une grande flemme et un profond dégoût à l'idée d'aller remuer toute cette vase, qui est bien tranquille bien au fond maintenant que je suis revenue sur la surface. Elle ne me gêne plus ! Quel intérêt d'aller la retourner ? Ca va me faire mal en plus je le sais. Rien que d'y penser ça me fait mal.
 - Mais si ça te fait mal c'est bien qu'il faut l'enlever, la purifier, la retourner, l'évacuer, enfin ce que tu veux quoi, non ?
 - Bof
 - Tu veux prendre des p'tites molécules toute ta vie ?
 - Peut-être, si c'est ça qui me manque et qui peut tout expliquer !
 - Un médoc tous les matins ?
 - Bof, nan, ch'pô*
 - Ben va falloir te forcer un peu ma vieille, tu sais bien qu'il le vaut mieux.
 - Pfff

* "je ne sais point" en langage djeunes

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