Je suis quelqu'un en négatif, je n'aime pas faire d'esclandre, je crois, ou en tout cas j'en rêve beaucoup mais je n'y arrive jamais en situation. Je ne suis pas tellement grande gueule, les répliques me viennent toujours trop tard.
Il se trouve que je réussis plutôt à me faire remarquer par mon absence, mon refus de parler, ma sortie de la communication.
C'est ma manière de faire pression et de dire eh, je suis là.
Encore faut-il que l'autre partie s'en rende compte.
Cet été trois semaines se silence parce que je l'avais prévenu d'écrire en premier. Trois semaines de peur et de questionnement. Mais dans le mail qui avait finit par arriver il avait écrit "c'est bon, tu peux te remettre à m'écrire maintenant", quelque chose comme ça, il avait remarqué. Soulagement intense parmi d'autres.
Dans des soirées où je sature, ou bien où la conversation ne me plaît pas, je ne monte pas sur mes grands chevaux, je m'éloigne, à peine, je prends un bouquin et je lis "ostensiblement" dans un coin de la pièce, ou plus haut dans les étages sur les marches de l'escalier des combles. Ce n'est pas toujours fait pour me faire remarquer, parfois, mais pas toujours.
Je ne sais pas réclamer, quêter, aller chercher, parce que j'irais alors demander quelque chose auquel je ne crois nullement avoir droit. Et pour aller demander quelque chose, il vaut mieux croire qu'on y a droit.
Alors j'ai l'impression comme ça de laisser le choix.
Quelque fois je me demande si je ne fais pas presque exprès, mais sans le maîtriser.
Ce week-end, Pâques, envahissement de mon nouveau chez-moi par la famille. Grosse crise de larmes pile au moment du dîner, je n'ai pas pu y aller, j'ai essayé et à chaque fois que je m'approchais de la porte ça repartait. Ma tante est montée voir, ça allait mieux à ce moment mais j'avais déjà compris que je ne pourrais pas descendre. Et j'ai eu honte de vouloir me faire remarquer en ayant l'air de refuser de passer à table avec tout le monde, comme si... je ne sais pas.
Ma petite soeur est montée me faire un bisou, et à elle non plus je n'ai pas pu dire grand chose.
J'ai pu partir avec ceux qui y allaient à la messe.
Mais là de nouveau explosion, cris intérieurs, crissements, trop-plein, dégoulinements. Je n'ai pas pu suivre la cérémonie dans la petite église, ni même le feu et les cierges dehors au tout début. Je suis restée cachée derrière le mur du parvis, je crois que j'avais quelque chose dans les mains, je ne sais plus. J'avais froid, mal aux pieds, et je pleurais à chaudes larmes ou par hoquets, les deux peut-être.
Mon père est venu demander s'il pouvait faire quelque chose, j'ai dit non merci je ne crois pas. Je crois que j'aurais aimé lui faire un câlin, ou qu'il m'en fasse un, tout en sachant que ce n'était pas envisageable et que ce n'était pas tout à fait ça que je voulais, que j'attendais, espérais.
Mais sa voix et sa présence devant moi, dans une phrase qui ne s'adressait qu'à moi m'ont touchée et remuée.
On est rentrés et ça a été dur. J'ai croisé avant de partir le grand-oncle et la grande-tante qui m'ont logée au début, ils ont été gentils, j'ai pu lui glisser à elle que ce n'était pas la forme. Elle a dit qu'elle me voyait larmoyante. Mais la dernière phrase que j'ai cru entendre c'est "prends sur toi".
Je suis montée me mettre au lit au deuxième étage, j'avais laissé ma chambre au premier à ma grand-mère.
Et j'ai lu jusqu'à quatre heures et demie du matin, les yeux explosés de fatigue, la peau tirant autour, la nuque raide, pour échapper à ma pensée et comme si la présence d'adultes plus âgés dans la maison me faisait immédiatement reprendre une position de jeune "pas raisonnable" qui sera cadrée par l'extérieur, peut donc se coucher extrêmement tard et dormir toute la matinée pour emmerder un peu le monde.
Je suis réveillée par mes larmes, presque un cauchemar, des cauchemars, des hurlements encore, rauques pour ne pas qu'ils s'entendent à côté, la détresse la jalousie l'injustice le mal-être dans toute son emprise et l'envie de s'enfuir de soi-même qui affleure malgré l'extrême sensation de claustration qui fait se tendre tous les muscles.
Il me semble que ça s'est un peu calmé dans la journée du dimanche. J'ai encore lu tard et dormi tard le lundi.
Alors je vais devoir revenir écrire ici comme un dévidoir qu'il ne faut pas interpréter. Tant pis pour vous. Les temps sont morts. Encore un tour.