Je lis en ce moment Remonter la Marne de Jean-Paul Kauffmann.
Ça me passionne moins que ce que je pensais ou espérais, mais enfin l'auteur a des lettres, écrit fluidement et agréablement, et j'ai particulièrement aimé cette réflexion sur le français, alors que l'auteur-marcheur arrive à Meaux, sur les terres de Bossuet :
Notre langue est portée naturellement à la grandiloquence, à la laque, à la parure, à l'amidon. "Trop de cosmétique" se plaignait Martin du Gard qui répugnait, dans ses livres, à utiliser des produits de beauté. Bossuet fait preuve d'une efficacité sans égale mais il aimait aussi bousculer les mots. Le bousculé, c'est peut-être cela, l'idéal. Une certaine imperfection, en tout cas de négligé - pas de négligence - que Jacques Rivière a parfaitement définie : "Je ne sais quoi de dédaigneux de ses aises, d'à moitié campé, de précaire et de profond, l'incommodité des situations extrêmes. Un esprit toujours en avant et au danger." Un modèle comme Saint-Simon commet lui aussi nombre d'incorrections et n'hésite pas à malmener la langue. Ce côté risqué, inconfortable, est ce qui convient le mieux au français. Quelque chose d'expéditif, de dégagé dans la tenue. Une forme de desserrement, venu sans peine. Pour moi le comble de l'élégance, la grâce. Mais il ne faut pas que cela se voie.
La citation de Jacques Rivière est tirée des Carnets (1914-1917), Fayard, 2001.
Ça me passionne moins que ce que je pensais ou espérais, mais enfin l'auteur a des lettres, écrit fluidement et agréablement, et j'ai particulièrement aimé cette réflexion sur le français, alors que l'auteur-marcheur arrive à Meaux, sur les terres de Bossuet :
Notre langue est portée naturellement à la grandiloquence, à la laque, à la parure, à l'amidon. "Trop de cosmétique" se plaignait Martin du Gard qui répugnait, dans ses livres, à utiliser des produits de beauté. Bossuet fait preuve d'une efficacité sans égale mais il aimait aussi bousculer les mots. Le bousculé, c'est peut-être cela, l'idéal. Une certaine imperfection, en tout cas de négligé - pas de négligence - que Jacques Rivière a parfaitement définie : "Je ne sais quoi de dédaigneux de ses aises, d'à moitié campé, de précaire et de profond, l'incommodité des situations extrêmes. Un esprit toujours en avant et au danger." Un modèle comme Saint-Simon commet lui aussi nombre d'incorrections et n'hésite pas à malmener la langue. Ce côté risqué, inconfortable, est ce qui convient le mieux au français. Quelque chose d'expéditif, de dégagé dans la tenue. Une forme de desserrement, venu sans peine. Pour moi le comble de l'élégance, la grâce. Mais il ne faut pas que cela se voie.
La citation de Jacques Rivière est tirée des Carnets (1914-1917), Fayard, 2001.