Mercredi 26 avril 2017 à 0:24

Je suis partie du boulot 2h avant (rattrapée hier et aujourd'hui) pour la répète des solos avec le grand chef, le gars a finalement changé le planning donc on passe dans une grosse demi-heure alors qu'on s'est tous dépêchés. Donc on se pose et je vois enfin le mail que j'ai reçu d'A., ma copine traductrice qui habite en Suisse, et qui m'annonce donc qu'elle est toujours vivante et qu'elle viendrait bien me voir, est-ce que je suis là autour du 20 mai (mon dernier concert et le week-end que je fais avec Alex et deux autres personnes dans le Mayo, qu'on est en train de finaliser, et auquel je lui avais proposé de venir il y a quelques mois mais maintenant c'est trop tard), parce qu'avec un dénommé Antoine qu'elle venait paraît-il de rencontrer la dernière fois qu'on s'est parlé - pas sûre que ça ait été dit - ils feraient bien un tour en Irlande et passeraient bien par "ma" ville.

Dublin n'est pas ma ville. L'Irlande est mon village et on n'y vient pas sans prévenir.
Et putain c'est quoi ce truc où tous les autres gens les plus impairables rencontrent des gens et je suis là cachée dans un escalier des studios radio de la RTÉ en pleine crise de larmes.
Transformable en crise de furie, c'est tout l'arsenal disponible.

Vendredi 24 juillet 2015 à 1:27

"Cet après-midi votre oncle V. est décédé, paisiblement en tenant la main de son épouse et de sa fille aînée."

Le mail arrive encore un peu plus tôt que prévu, mais enfin ça fait un an qu'il est malade, le cycle maison-hôpital-maison s'est accéléré, on s'y attendait. Et il est mort dans la maison de famille léguée par sa mère, chez lui - rare et presque précieux.

En la relisant je sens dans la phrase si factuelle - adverbe excepté - de mon père une approbation, une certaine envie même à l'idée de cette scène. Mourir chez moi, entre ma femme et ma fille, oui. Une envie mélancolique triste.
Il ne pourra pas tenir la main de son épouse, déjà décédée.


Et je réalise soudain, ou plutôt soudain la culpabilité me douche, m'avale, m'inonde, j'ai laissé ma mère mourir toute seule, toute seule, seule dans une chambre d'hôpital au fond d'un service de réanimation, dans le coma, seule, câblée de plastique entourée de métal, d'ombres, de vide, seule, détachée du monde par l'inconscience et notre absence, abandonnée.
Je suis venue la veille, tard, et j'ai fui.
Et j'aurais fui encore si le matin elle avait été vivante encore, j'avais trop peur de voir ça, le passage.
La honte, la honte, et je ne sais pas comment implorer pardon.

Lundi 30 mars 2015 à 0:52

Ma mère est morte.
Maman est morte.
 Ma maman est morte.
Sa maman est morte doivent dire les autres.
Sa mère est morte.
Ta maman est morte.
Elle est morte.

Ca ne fait toujours aucun sens.

Mercredi 31 décembre 2014 à 21:57

http://gamace.cowblog.fr/images/OdilonRedonBeatrice.jpg

 
 
Ma maman était une grande lectrice, une grande amateure de littérature, une grande admiratrice des classiques, de l'Italie, de Dante. Elle avait commencé une licence de lettres classiques, fini en lettres modernes. Elle avait fait du latin, du grec, de l'italien. Tout ça sans travailler suffisamment d'ailleurs avait-elle toujours dit, mais enfin c'était une littéraire, qui vivait entourée de bouquins, des grands classiques aux parutions récentes ; elle était d'une famille de lettrés, de papetiers savants, d'un grand-oncle qui avait découvert trois pensées inédites de Pascal et avait proposé une nouvelle classification de leur ensemble à la lumière de ces feuillets miraculeusement sortis du néant car il en aurait reconnu l'écriture. Classification pas particulièrement retenue par les spécialistes du genre mais qu'importe. Des gens cultivés.
L'Italie, Florence avaient toujours tenus une place particulière dans le coeur de ma mère. Elle avait une reproduction d'une toile représentant le Duomo vu depuis une fenêtre et une rose à côté, et avait été fort vexée quand je n'en avais pas voulu dans ma chambre. 
Elle vivait dans ce bouillon vaguement brouillon de culture qui n'avait pas pris forme - elle n'était ni professeur, ni traductrice, ni rien de professionnellement culturel - mais qui faisait partie de son être et de sa manière de (se) penser. La littérature, l'Italie, le grec, Chrétien de Troyes faisaient partie du grand ensemble de ses enthousiasmes admiratifs qui faisait d'elle quelqu'un de plein et de vivant.

Par ce qui n'est sûrement pas un hasard, c'est elle qui a hérité d'un vénérable camée présent dans la famille depuis des générations et représentant Dante. Il semble que cette lointaine branche de la famille ait été d'origine italienne. C'est une bague qu'elle portait tous les jours et je l'ai toujours vue avec.

Mon père n'avait aucune idée de pourquoi il était extrêmement touchant que ce soit sa femme, Béatrice, qui ait hérité de cette bague à l'effigie du poète florentin. 
Je le lui ai appris cet été.

J'ai envie de pleurer à chaque fois que j'y pense.




Jeudi 30 octobre 2014 à 0:56

Elle avait mis six mois à le convaincre. C'en était devenu une blague, un running gag, un truc dont toute la famille était au courant. Même pendant l'été, quelques mois avant la date prévue du voyage, il riait en disant que c'était inutile : il avait déjà vu la gare centrale de la ville, lors d'un déplacement professionnel, nul besoin d'aller passer un week-end un Amsterdam pour fêter leurs 25 ans de mariage.
Mais elle avait réussi à le convaincre, tout était prévu, et elle prenait les blagues avec bonne humeur.
On avait aussi essayé de lui expliquer que du coup, avec sa femme, il allait peut-être visiter le reste de la ville, qui était censé avoir plus d'intérêt que la gare, même si ça ne faisait pas partie de son échelle de valeurs habituelle ; sans même parler du fait que s'il avait mis les pieds dans la ville, elle jamais, et que si elle avait envie d'y aller, et vu que le projet n'avait rien d'extravagant, l'idée de faire plaisir à son épouse pouvait être une motivation valable.

C'est l'été où les douleurs dans la nuque ont commencé, et après un léger mieux en septembre, ont empiré en octobre.

Je me souviens être descendue de ma chambre le matin où ils étaient censés partir, et d'avoir été étonnée de trouver ma mère dans le salon.
On repousse le voyage, me dit-elle, j'ai trop mal au dos, je ne le sens pas, je préfère attendre que ça aille mieux.

Je trouve mon père dans la pièce d'à-côté, qui mi-penaud mi-inquiet, me dit on repousse le voyage, Maman a trop mal au dos. Il était finalement tout déçu, après avoir semblé combattre le projet pendant des mois, et opposé une certaine résistance, faite de passivité et de gentilles moqueries de dénigrement, à l'unique expression de célébration de leur quart de siècle ensemble.
Ils avaient fait une grosse fête pour les 10 ans, on avait fait un petit voyage en famille pour les 20. On referait une grosse fête pour les 30.

Mais les douleurs ont encore empiré, et elle est morte six mois plus tard.
Elle n'est jamais allée à Amsterdam.

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