Lundi 30 mars 2015 à 0:52

Ma mère est morte.
Maman est morte.
 Ma maman est morte.
Sa maman est morte doivent dire les autres.
Sa mère est morte.
Ta maman est morte.
Elle est morte.

Ca ne fait toujours aucun sens.

Samedi 7 février 2015 à 2:28

 
- Alors, tu as trouvé un nouveau boulot ? dit la tante à la nièce qui galère depuis longtemps avec ses deux master et des contrats à (très) court terme.
- Oui ! Dans telle université, tel poste au labo, un contrat de deux ans.
- Et voilà ce que c'est aujourd'hui, les salariés-kleenex : on prend, on jette.
- Ah mais moi je suis pas kleenex ! J'ai un contrat de DEUX ans !!

A côté, j'ai souri.
On ne vit plus dans le même monde.

Mercredi 31 décembre 2014 à 21:57

http://gamace.cowblog.fr/images/OdilonRedonBeatrice.jpg

 
 
Ma maman était une grande lectrice, une grande amateure de littérature, une grande admiratrice des classiques, de l'Italie, de Dante. Elle avait commencé une licence de lettres classiques, fini en lettres modernes. Elle avait fait du latin, du grec, de l'italien. Tout ça sans travailler suffisamment d'ailleurs avait-elle toujours dit, mais enfin c'était une littéraire, qui vivait entourée de bouquins, des grands classiques aux parutions récentes ; elle était d'une famille de lettrés, de papetiers savants, d'un grand-oncle qui avait découvert trois pensées inédites de Pascal et avait proposé une nouvelle classification de leur ensemble à la lumière de ces feuillets miraculeusement sortis du néant car il en aurait reconnu l'écriture. Classification pas particulièrement retenue par les spécialistes du genre mais qu'importe. Des gens cultivés.
L'Italie, Florence avaient toujours tenus une place particulière dans le coeur de ma mère. Elle avait une reproduction d'une toile représentant le Duomo vu depuis une fenêtre et une rose à côté, et avait été fort vexée quand je n'en avais pas voulu dans ma chambre. 
Elle vivait dans ce bouillon vaguement brouillon de culture qui n'avait pas pris forme - elle n'était ni professeur, ni traductrice, ni rien de professionnellement culturel - mais qui faisait partie de son être et de sa manière de (se) penser. La littérature, l'Italie, le grec, Chrétien de Troyes faisaient partie du grand ensemble de ses enthousiasmes admiratifs qui faisait d'elle quelqu'un de plein et de vivant.

Par ce qui n'est sûrement pas un hasard, c'est elle qui a hérité d'un vénérable camée présent dans la famille depuis des générations et représentant Dante. Il semble que cette lointaine branche de la famille ait été d'origine italienne. C'est une bague qu'elle portait tous les jours et je l'ai toujours vue avec.

Mon père n'avait aucune idée de pourquoi il était extrêmement touchant que ce soit sa femme, Béatrice, qui ait hérité de cette bague à l'effigie du poète florentin. 
Je le lui ai appris cet été.

J'ai envie de pleurer à chaque fois que j'y pense.




Jeudi 30 octobre 2014 à 0:56

Elle avait mis six mois à le convaincre. C'en était devenu une blague, un running gag, un truc dont toute la famille était au courant. Même pendant l'été, quelques mois avant la date prévue du voyage, il riait en disant que c'était inutile : il avait déjà vu la gare centrale de la ville, lors d'un déplacement professionnel, nul besoin d'aller passer un week-end un Amsterdam pour fêter leurs 25 ans de mariage.
Mais elle avait réussi à le convaincre, tout était prévu, et elle prenait les blagues avec bonne humeur.
On avait aussi essayé de lui expliquer que du coup, avec sa femme, il allait peut-être visiter le reste de la ville, qui était censé avoir plus d'intérêt que la gare, même si ça ne faisait pas partie de son échelle de valeurs habituelle ; sans même parler du fait que s'il avait mis les pieds dans la ville, elle jamais, et que si elle avait envie d'y aller, et vu que le projet n'avait rien d'extravagant, l'idée de faire plaisir à son épouse pouvait être une motivation valable.

C'est l'été où les douleurs dans la nuque ont commencé, et après un léger mieux en septembre, ont empiré en octobre.

Je me souviens être descendue de ma chambre le matin où ils étaient censés partir, et d'avoir été étonnée de trouver ma mère dans le salon.
On repousse le voyage, me dit-elle, j'ai trop mal au dos, je ne le sens pas, je préfère attendre que ça aille mieux.

Je trouve mon père dans la pièce d'à-côté, qui mi-penaud mi-inquiet, me dit on repousse le voyage, Maman a trop mal au dos. Il était finalement tout déçu, après avoir semblé combattre le projet pendant des mois, et opposé une certaine résistance, faite de passivité et de gentilles moqueries de dénigrement, à l'unique expression de célébration de leur quart de siècle ensemble.
Ils avaient fait une grosse fête pour les 10 ans, on avait fait un petit voyage en famille pour les 20. On referait une grosse fête pour les 30.

Mais les douleurs ont encore empiré, et elle est morte six mois plus tard.
Elle n'est jamais allée à Amsterdam.

Mercredi 20 août 2014 à 0:32

Une des trois toilettes du pub s'ouvre enfin, en sort une nana un peu mal fagotée, un peu outrancière, peut-être un peu trop ronde, avec probablement un peu de ventre qui sort entre la jupe trop courte et le haut à paillette, et qui traine au pied un mètre de PQ.
Je lève intérieurement les yeux au plafond de ma boîte crânienne en prenant sa place, ridicule, la juste illustration du manque de classe de ces gens, vraiment, je ne prétends pas moi-même faire des efforts si grands d'élégance - quoiqu'on m'ait déjà dit que je l'étais, et voilà qui prouverait une certaine prestance parisienne non pas innée mais presque automatique, finalement véridique par rapport aux anglo-saxons - mais laisser s'accrocher à sa chaussure, par ailleurs moche, traîner avec soi dans ses pas et surtout ne pas s'en apercevoir !, une aussi longue guirlande difforme et bientôt noircie de ce qui représente dans notre société tout ce qu'il y a de laid et de peu soigné ; je pense aux gens qui dégueulassent les toilettes publiques, je pense à ceux qui laissent du PQ dans la nature, dans les bois, la terre, les arbres, derrière les rochers, visions qui souillent un paysage entier ; non vraiment ça me paraît presque un symbole d'infamie morale.
Le papier toilette abandonné représente tout ce qu'il y a d'irrespectueux, de non noble dans l'attitude, de je-m'en-foutiste, de sale, enfin, dans notre monde, tout ce dont mon éducation m'a heureusement protégée.
J'en étais là de mes réflexions en finissant de me laver les mains, et en sortant des lieux une entrante me dit : attention, vous avez du papier toilette au pied.

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