Je rentre en me disant que je vais tout faire ce soir, cette nuit. J'ai toujours l'impression au soir d'avoir devant moi un temps infini, et que je vais pouvoir réaliser des merveilles et que demain je serai apaisée.
En fait je tire sur la corde du sommeil. Les yeux tirés font partie de la lecture, de son plaisir peut-être, mais aussi de son exigence. L'impossibilité de lâcher un bouquin comme celui de lâcher le paquet de biscuits (qui m'est maintenant interdit, remplacé par des bonbons). Il est quelques livres que j'arrive à lire de manière raisonnable, mais c'est rare. Je ne suis pas une lectrice raisonnable, je déteste lire sagement, un chapitre par un chapitre. Même s'il doit m'arriver de dire que ça fait partie de mon idéal d'accomplissement, comme faire du sport et du chant tous les jours. Moi qui suis experte dans la retenue et la frustration de soi dans bien des domaines, je refuse de saucissonner les aventures des personnages, de leur assigner des horaires où je daignerai les rejoindre. Lire un roman ce n'est pas faire venir des vies nouvelles jusqu'à moi, c'est aller jusqu'à elles, me plonger dedans, et n'accepter d'en ressortir que par absolue nécessité, ou pour un soupçon de bienséance (les cours, les repas lors des vacances familiales). C'est moi qui vais vivre leurs vies avec eux. Ce ne sont pas leurs aventures qui vont déteindre sur ma terne existence.
J'essaye aussi d'exorciser ma nouvelle "rechute" de romans à l'eau de rose, ceux-là aussi se lisent extrêmement vite, ne nourrissent pas toujours suffisamment, et comme le paquet de bonbons qu'il m'arrive parfois au prix d'un grand effort de volonté de lancer sur le canapé hors de ma portée, j'aimerais pouvoir en arrêter ma consommation.
Je ne sais pas si je les considère comme indignes, peut-être, sûrement, je ne les inscris pas dans ma liste de bouquins en cours sur ce blog par exemple. Et surtout je me dis que dans une autre vie je n'en aurais pas eu autant envie.
Je me dis de temps en temps qu'il va bien falloir que je retourne mettre les choses à plat sur ce que je pense de ça, encore, maintenant. Puisque même le psy, qui était payé pour, n'a pas voulu en entendre parler. J'ai toujours peur de me monter la tête quand je dis ça, et en même temps j'en suis tellement sûre. C'était déjà dur pour moi, à dire, à formuler, à reconnaître, à savoir qu'en dire, à accepter d'en dire quelque chose. Et en même temps j'aurais tellement voulu en parler, le touiller, le secouer, l'ouvrir, le disséquer, en disséminer les morceaux, les ratatiner pour voir, même si ça devait bouger encore après tout ça.
Pense-t-on des choses en-dehors de notre rapport aux autres ? A ce que les autres en pensent ? Sûrement, mais ça n'a déjà plus grand chose à voir.
Je me dis que j'aurais dû raconter des petites choses d'ici, façon instantané de société, qui auraient sûrement pu rebondir les uns sur les autres, et l'actualité. Mais non je n'arrive qu'à gémir sur mon sort. C'est affligeant, attristant, déplorable, déprimant, désolant, émouvant, lamentable, pénible, pitoyable. pitoyable.