Samedi 22 décembre 2012 à 1:49

Il a les yeux d'un bleu que je n'arrive pas à retenir.
Ou alors qui change à chaque fois que je le vois.

Je ne sais pas toujours comment me comporter, je n'ose pas poser trop de questions, la situation ne s'y prête pas. Je peux juste espérer que cette espèce de détachement ne l'ennuie pas.
Tu penses à moi quelque fois ?
Il a fait une drôle de moue et j'ai dit en riant que ce n'était pas la bonne réponse.

Je me détache. Je profite et me détache. Je suis détachée de tous. Ca n'a pas de saveur.

(ça n'aura pas la même saveur, de trouver plus tard. C'est pareil que toi, même si, on est toujours seul.) je n'y crois pas

Tentative de rattrapage, plus tard. Séparation nette.

De là-haut je rouvre la fenêtre et vois la trace laissée par sa voiture garée avant la pluie.


Le soir mes yeux tombent sur la rue encore, personne n'a pris sa place.

Dimanche 16 décembre 2012 à 1:30

 
Ce soir j'ai probablement pour la première fois, depuis 2005 que je le parcours, marché tout ce long couloir sombre et un peu glauque de chambres de bonnes sans la lumière. Avec les bruits de la pluie sur les deux vasistas et contre les murs. Ce couloir de chambres vides et de greniers, avec des portes entrouvertes ou fermées à double tour. Le couloir vers les toilettes condamnées sur la gauche, le lavabo qui goutte, sans la lumière.
Les minuscules traits de lumière des interrupteurs à ma droite, ne pas se laisser tenter. Je peux le faire, la tête rentrée dans les épaules, le dos un peu voûté, la peur du noir qui est derrière moi, de ce qui pourrait en sortir.
Je parcours ce couloir à toutes les heures du jour et de la nuit, pieds nus, puis je descends les 36 marches des deux étages de l'escalier de service pour atteindre la porte de la cuisine.
J'y marche à minuit, à 2h, 5h du matin, mais avec la lumière, toujours.
Il est vide.
On ne sait jamais si les portes sont ouvertes ou pas.
La mienne est tout au fond, à l'opposé du décrochement du couloir.
La fenêtre loin en face de moi, qui diffuse une clarté bleue ou grise, sombre, avancer, continuer, avoir l'impression que cette traversée en luttant contre moi-même est hautement symbolique, qu'il va en sortir quelque chose.

Je laisse mes yeux se brouiller à regarder leur sapin clignoter.

J'étais furieuse tout à l'heure. Je ne maudis jamais plus mon niveau de piano que dans ces moments-là. Je voudrais faire plus de bruit, beaucoup plus de bruit. Je joue lentement, ça permet d'ajuster le tir. Je me suis fait mal à l'auriculaire droit.

J'ai parlé par monosyllabes quand il est rentré.
Ca va pas ? Ah bon.
Oui j'ai lu ton mail avait-il dit sur le quai du métro quand j'étais déjà au bord des larmes. 
Si ce mail ne peut pas le faire réagir je ne sais pas ce que.

Je ne devrais pas être là. Je ne veux plus être là.

J'ai passé deux semaines avec une petite bouteille de liquide lentille dans mon sac, au cas où, pour chez le gars qui en avait cherché exprès pour que je puisse rester. Pour la prochaine fois.
Pour rien.
J'ai l'impression que ce fait va résumer ma vie.
Vu dans leurs étagères les Lettres d'amour d'un soldat de vingt ans.
Je n'ai pas écrit de telles lettres. Et je n'en ai pas reçu.
Je ne voudrais pas avoir une vie médiocre.

J'attends des réponses. 
C'est très à la mode de ne pas me répondre, le dernier cri, je vous le conseille, c'est le truc dans le vent.
Aucun d'entre eux.

Par la fenêtre. On avait envie de passer ta soeur par la fenêtre.
Elle me l'a dit spontanément, et j'ai ressenti un soulagement immense, l'impression d'être tirée de quelque part où je m'enfonçais, j'avais peur d'être folle et je ne m'en étais pas rendu compte.
Paranoïaque.

Mais je ne sais pas ce que je veux maintenant, je veux que tout le monde me le dise, qu'on le crie sur les toits, qu'on l'écrive partout sur les murs, qu'on le lui fasse avaler à chaque repas.
"il ne faut pas enfermer les gens dans leur passé" me dit-il.
J'entends ça, mais j'en pleure, oui mais, elle n'est certainement pas enfermé, elle ne le connaît même pas ce passé, et pourquoi j'en pleure ? Pourquoi moi est-ce que j'y suis enfermée ? POURQUOI ?
Qu'est-ce que je voudrais ?

Je réfléchissais à un cadeau pour mon père, et puis je me dis que peut-être je ne devrais rien lui offrir.
 
Faut-il traiter les gens comme on aimerait qu'ils vous traitent ou comme ils veulent être traités ?
 
Et mon cousin qui s'y met : mouais je suis pas trop Noël, ça me rend grognon, pourquoi on devrait se faire des cadeaux.
Oh non eh, tu vas pas suivre !!! C'est pas parce que c'est le seul exemple masculin que tu as sous la main qu'il faut le suivre. Ton oncle est un con, certains jours.

Et j'ai une copine qui me fait des raisonnements pareils.
Bande de cons.
C'est bien parce qu'il ne vous manque personne.

"La vie n'est qu'une longue perte de ceux qu'on aime" me dit Gérard Depardieu dans L'homme qui rit.

Et les gens qui continuent de se rouler des pelles dans les escaliers du métro.
Toutes des pétasses.

J'ai demandé le dossier médical de ma naissance. Juste pour vérifier.

Je ne rentrerai pas dormir.

Tiens maintenant je mets des lignes vides partout. Avant je faisais des gros pâtés bien serrés.


ma cousine se marie. elle m'a dit ça tellement soudainement hier, au téléphone, dans la nuit entre deux métros, une audition, j'ai du mal à enregistrer l'information. je ne connais pas le bonhomme, peu entendu parler de lui. rêvé plutôt positivement, mais je suis inquiète pour elle, je crois.


et lui, le dernier, lui non plus n'a pas répondu.
propose de venir "la semaine prochain". laquelle prochaine ai-je demandé.
rien.
et le pire c'est quand maintenant je sais faire. me désintéresser, attendre une réponse qui pourra me faire partir d'un côté ou d'un autre. pfft. sans états d'âmes.
j'ai peur d'être déjà morte.
ils ne veulent pas, ils ont peur de devenir comme lui me dit ma collègue à propos de ses fils et de leur père mourant.
moi aussi je ne veux pas. et j'ai peur que ce soit déjà trop tard.
comment ça se peut que je comprenne mes deux parents et que je sois malheureuse dans les deux configurations.


Mardi 6 novembre 2012 à 0:36

 
Discrètement, insensiblement, l'appartement se désemplit un peu, on y étouffe moins, un peu.
Peut-être que quand elle était là on n'étouffait pas de toute façon parce qu'elle tourbillonnait dedans, insufflait quelque chose à ces piles et ces papiers et ces objets ?
Ses piles, ses papiers et ses objets.

Maintenant qu'ils se sont fait menaçants, étouffants, parce que trop nombreux, parce que posés et pesants, inutiles, il faudrait les jeter.

Et j'ai beaucoup beaucoup de mal malgré tout.
Je ne peux pas jeter un plan de Bruxelles, dont elle a tant rêvé, et rêvé d'habiter.
Des tasses à café amochées, esseulées.
Des specimens de la collection d'oeufs, plus banals.
Des articles d'Edgar Morin, découpés avec soin.
Un Paris-Match sur Diana, le Courrier International de l'élection d'Obama. Un National géographic (?) anglais sur la bataille du Pacifique, mais pourquoi diable avait-elle ça ?
Ses documents de travail, qui contiennent des noms, des sigles que j'ai si souvent entendus sans savoir vraiment ce qu'ils recouvrent.

Je me demande ce que ça ferait de vraiment tout jeter.
En fermant les yeux peut-être, en attrapant ça par brassées et en s'en débarrassant sans regarder, sans se demander ce que ça dit d'elle. Est-ce que ça m'ôterait l'impression de la faire disparaître. L'absence physique, l'absence de son esprit, de dialogue, est déjà là, difficile à réaliser et évidente à la fois.
J'ai été surprise l'autre jour de la voir sur les photos d'un Noël d'il y a quelques années. Tiens, elle était là ? Comme ça se fait ?
Un jour absente, toujours absente.

Je n'arrive pas à comprendre et je trouve ça banal à la fois.
Je détesterais lire ça chez les autres.
Quel sentimentalisme.
J'aime pas les autres.
Et je voudrais en connaître plus, des sympas, des intéressants. Je suis pas très douée pour ça. Je devrais demander.

Lundi 5 novembre 2012 à 1:19

Réveillé mon cousin en sursaut en tapant deux coups de rage contre une porte. Lui ai dit oui oui j'ai fait tomber un truc.

Ca ne se passera pas comme ça.
Oui mais.

Cette conversation a déjà eu lieu, une fois, deux fois, pire ? Et ça a beau être dit le plus gentiment du monde, de la manière la plus détachée et la moins arrogante, à chaque fois je perds la face, même s'il n'y a que moi qui m'en rends compte.
A chaque fois je me retrouve dans le rôle du petit chose, on me dit que je suis celle qui courbe l'échine dans l'attente, avec des étoiles dans les yeux que je dois contenir, que je dois être sage en attendant l'autre, il a autre chose à faire voyons, reste tranquille.
Je suis le chien.

Ca ne se passera pas comme ça.
Oui mais.
Mes moyens ? Rien, bien trop fière pour aller couiner vraiment, je préfère lever le menton, et je disparais. Ce me sera reproché, après, sûrement. Le "chantage" en tout cas.

Mais ne pas manquer à un ami. C'est à se questionner, pour rester polie.

Moi le gens me manquent, ma mère me manque, mon père quand il ne veut pas parler, quand je dois faire des bras de fer avec lui, mes soeurs parfois, ou mon cousin, quand on ne me parle pas. Lui me manque que j'ai vu une fois par semaine pendant six ans, qui était ma motivation pour aller faire du sport parce que je savais qu'il serait là et que son sourire moqueur me réchaufferait, il me manque beaucoup, je crois, ce n'est plus pareil, tout est gris le samedi. La chaleur humaine, la parole, le soutien me manquent, des choses qui n'ont jamais existé et que je n'ai jamais eues me manquent, le chant la musique le piano peuvent me manquer, les rires, les blagues, Londres, Berlin, des ambiances, des odeurs, des sensations, les gens qui m'aiment bien et me sourient timidement, je pense à un autre gars aussi, ou à des week-ends qui auraient pu se reproduire. Des enfants, des appartements, des objets, des époques de ma vie, des personnages de fiction. Beaucoup, beaucoup de choses peuvent me manquer, fugitivement, ou par un trop grand sentimentalisme nostalgique parfois, que je sais un peu faux mais qui m'aide à passer des semaines grises et mornes. 
J'ai beaucoup avancé ou juste "tenu" dans la vie à coup de visages de gens qui me plaisaient, qui m'aideraient à me lever le matin en me disant juste : aujourd'hui je vais les voir. Ils ne me verront pas, ils ne me parleront pas, je les agace peut-être, ils me méprisent, s'ils m'ont repérée, mais moi ils m'aident à passer le jour, la semaine, les trimestres, l'année. Je les en remercie. Non je ne tiens pas toute seule finalement, c'est à ma grande honte. Je suis le chien.

Il semble que je ne tienne pas toute seule, et je préfèrerais que ce soit faux. Puisqu'il semble aussi que je ne sois pas douée pour trouver ceux qui me tiendront. Je vais mentir bien sûr. Vous supposez bien que je préfèrerai vous cracher dessus que vous dire ça.

Faites-moi partir.
Je dois partir. Pour m'aller geler dans une chimère : que je serais autrement, ailleurs.

Mercredi 24 octobre 2012 à 0:52

 
La porte arrière de la cuisine, celle qui mène à l'escalier de service, au 6ème et à ma chambre était encore fermée à double tour.
C'est un réflexe qu'a mon papa je crois, avant de se coucher. 
J'arrive après, devant cette porte, et j'ai le sentiment de n'être pas prise en compte.

Ma soeur revenue pour la semaine occupe le salon.

Plusieurs soirs que je fonds en larmes. Ca ne dure pas trop. Ca fait longtemps que ça n'était pas arrivé.

J'essaye de socialiser, toujours l'impression d'être seule, en dehors du coup. Pas celle qu'on invite. De ma propre soeur et mon propre cousin ça sonnait extrêmement faux. Deux insultes en un.
Je suis sensée avoir fait mes études à Paris, dans mes jeunes années, et j'ai l'impression de n'avoir pas fait mes études à Paris dans mes jeunes années avec ce que ça comporte. De ne pas connaître, d'être à côté encore.
Je n'ai trouvé personne ce soir pour venir avec moi, est-ce que je fais des sorties trop improbables ? Est-ce que je fréquente des gens avec qui je suis trop en décalage ? J'ai pensé au milieu de la représentation que je n'avais pas joint deux personnes qui auraient été plus intéressées, mais peut-être sans résultat.

Je vérifie l'orthographe. Le conjugueur s'ouvre sur "plaire". Cte blague.
Ni à moi ni aux autres.
Trop moche trop mal fagotée et je ne vois aucun remède, je n'appartiens à aucun monde, j'ai mal au ventre, ça me brûle de nouveau, je me tiens mal et mon corps me gêne.
Je re-songe aux griffures. Pour l'instant je m'étonne encore, si j'essaie ça me fait mal, je trouve ça plutôt bon signe, la douleur est encore plus forte que la souffrance. 
Je ne griffe pas, j'imagine que je griffe, ça me fait passer le temps ça me soulage un peu ; j'imagine où je griffe. Le crâne peut-être. Je referme un poing sur mes cheveux tendus au maximum et je reste comme ça le temps du trajet en métro.

Parfois une femme monte, je la vois de dos, elle n'est pas très grande, pas trop mince, les cheveux courts, peut-être a-t-elle des lunettes, des vêtements juste comme ma mère a pu en porter. 

Ca peut arriver plusieurs fois dans la journée, c'est affreux.
Je me suis remise à imaginer que je rentre, ou je descends, ou j'ouvre la porte et elle est là, tout naturellement.
Pourquoi est-ce que vous êtes accompagné et que vous avez vos deux parents.

Mon père connaît par coeur les lignes du métro parisien des années 30. 
J'ai l'impression de ne pas m'y connaître dans les deux (trois) domaines dans lesquels je suis diplômée.

J'ai l'impression que rien ne me fera rattraper ce qu'un caractère triste et chagrin m'a fait rater. Il m'empoisonnera toute ma vie et c'est un cercle vicieux. Quand je fais un pas le monde a fait des bonds.

Je ne devrais pas être là. Je voudrais être quelque part d'autre. Etre.

 
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