Dimanche 6 septembre 2015 à 22:20

J'aime bien prendre des photos. De temps en temps elles sont un peu penchées, un peu de traviole, de guingois, les couleurs sont pas terribles.
En général je sais cadrer, donc il peut y en avoir de bonnes.
J'utilise un "vieil" appareil, numérique, prêté par un copain il y a des années, dont je n'ai jamais bidouillé les réglages.

Mais surtout c'est les thèmes. 

Je prends très peu de photos de visages, de gens, même de foules ou d'inconnus.
Beaucoup de paysages, vides d'humains le plus possible, les maisons sont autorisées.

Et puis des espèces de "natures mortes" (cette expression m'a longtemps terrifiée, j'exagère à peine, je préfère largement l'anglais "still life").

J'aime les matières, les contrastes de matières, les détails, le petites choses, les briques, les arbres nus ou morts, les bouts de plantes qui jaillissent des murs, les serrures rouillées sur les vieux portails, les rivets de consolidation sur un mur de pierre fendu.

J'ai fini par remarquer ça et j'ai enfin décidé de m'y laisser aller quand ça me prenait.

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Saint-Vidal, Haute-Loire, le portail entre le village et la cour du château.


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Celle-ci et les suivantes viennent des jardins de Strokestown Park, County Roscommon, en Irlande
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Sur le port de Killala, County Mayo, Irlande. Très Tristan & Iseult.

Mercredi 26 août 2015 à 19:30

Je lis en ce moment Remonter la Marne de Jean-Paul Kauffmann.
Ça me passionne moins que ce que je pensais ou espérais, mais enfin l'auteur a des lettres, écrit fluidement et agréablement, et j'ai particulièrement aimé cette réflexion sur le français, alors que l'auteur-marcheur arrive à Meaux, sur les terres de Bossuet :

Notre langue est portée naturellement à la grandiloquence, à la laque, à la parure, à l'amidon. "Trop de cosmétique" se plaignait Martin du Gard qui répugnait, dans ses livres, à utiliser des produits de beauté. Bossuet fait preuve d'une efficacité sans égale mais il aimait aussi bousculer les mots. Le bousculé, c'est peut-être cela, l'idéal. Une certaine imperfection, en tout cas de négligé - pas de négligence - que Jacques Rivière a parfaitement définie : "Je ne sais quoi de dédaigneux de ses aises, d'à moitié campé, de précaire et de profond, l'incommodité des situations extrêmes. Un esprit toujours en avant et au danger." Un modèle comme Saint-Simon commet lui aussi nombre d'incorrections et n'hésite pas à malmener la langue. Ce côté risqué, inconfortable, est ce qui convient le mieux au français. Quelque chose d'expéditif, de dégagé dans la tenue. Une forme de desserrement, venu sans peine. Pour moi le comble de l'élégance, la grâce. Mais il ne faut pas que cela se voie.

La citation de Jacques Rivière est tirée des Carnets (1914-1917), Fayard, 2001.

Mardi 23 juillet 2013 à 22:54

 On a monté en même temps l'escalier de la sortie de métro, à Bercy, elle était à ma gauche je crois, 45 ans environ, un léger hâle, j'ai pensé qu'elle était des Antilles ou peut-être juste du Portugal, quelque chose dans son visage. Mince dans un long manteau beige chaud et on s'est retrouvées au même passage piéton, après un virage à angle droit.

On est plusieurs à attendre, dont un grand monsieur de bel allure, façon Villepin, la cinquante ou la soixantaine fière et la mèche blanche au vent, col du pardessus noir relevé, gansé de pourpre.

Trou de voiture, je passe la première moitié et attends sur l'îlot central, quatre mètres plus loin.

Derrière moi la conversation s'engage.
- Bonjour ma belle. Je peux vous appeler ma belle ?

Je n'entends pas la réponse.
Avant de comprendre que je n'entends pas de réponse. Qu'il n'y a pas de réponse, qu'elle est en train de balbutier, de chercher ses mots, de trouver quoi répondre à ça, parce qu'en fait non elle ne connaît pas ce monsieur contrairement à ce que j'ai pu croire il y a une seconde lorsqu'il a parlé.

J'ai tourné mon visage pour jeter un coup d'œil, discrètement.

Après le balbutiement le silence.
Et l'homme apparaît à ma droite. Puis passe avant moi, avant le vert la seconde partie du passage piéton et avance à grands pas vers le Ministère.

J'attends finalement sagement le feu, traverse, et remonte sans me presser dans la même direction, qui est la mienne.
Je vais presque lentement parce que je pense qu'elle m'a vue. Qu'elle a vu que j'avais vu, et qu'elle a peut-être envie de me parler, comme ça.

Oui. Je l'ai à peine vue venir, elle n'a même pas attendu d'être vraiment à ma hauteur pour commencer à parler, non mais vous avez vu, quelqu'un que je connais à peine, par un collègue, que j'ai vu une fois, et il me dit ça. J'ai 50 ans me dit-elle, je n'ai pas envie d'être traitée comme ça.

Cette scène a eu lieu il y a des mois, je ne garantis plus le mot par mot mais l'idée est là.

Que pouvais-je répondre dit-elle. Mon vieux ? Mon beau ? On suggère des choses, ça finit en rires, et on se sépare au pied de l'escalier du Ministère.

Et je suis contente d'avoir été là, d'avoir suivi la scène et qu'on ait pu parler, et qu'on ait pu se moquer de lui ensemble, qu'elle ne porte pas cette apostrophe grotesque et agressive sur les épaules toute la journée pour tenter de la raconter le soir à quelqu'un qui n'était pas là et qui ne saura pas forcément comment réagir.

Jeudi 18 avril 2013 à 23:45

Vendredi 12 avril, dernière matinée de travail ici, dernier trajet de retour, dernier passage par la Butte aux Cailles, la rue des Cinq Diamants, le passage Jonas sous les immeubles, la station Corvisart où je sais que je peux attraper le métro s'il arrive quand je finis l'escalier et que je cours (et que j'ai le feu vert. Pas la peine d'arriver morte).

Il y a quelques semaines sur cette ligne 6 j'avais lu un des poèmes affichés aux extrémités des wagons, que j'avais trouvé très joli, doux et romantique, pas alambiqué, pas niais, qui m'avait touchée. Je n'avais retenu ni le titre ni l'auteur, et n'avais qu'un très vague souvenir des mots exacts employés dans ces quelques lignes. Avec si peu je n'avais même pas tenté une recherche internet.

Et ce dernier trajet de retour où j'ai je crois raté un métro, marché dans un sens et dans l'autre sur le quai, changé de porte au dernier moment, m'a fait miraculeusement asseoir au bout d'un wagon, sur un strapontin d'où j'ai fini par lever les yeux sur ce poème-là.

            Vous m'avez dit tel soir des paroles si belles
            Que sans doute les fleurs qui se penchaient vers nous
            Soudain nous ont aimés et que l'une d'entre elle,
            Pour nous toucher tous deux, tomba sur nos genoux.

Emile Verhaeren
Extrait in Les heures d'après-midi, 1905.


 
Oui, parfaitement, j'ai un fond romantico-fleur bleue sentimental, ça tpose un problème ? [t'as voir ta gueule à la récré]

Dimanche 31 mars 2013 à 16:33

Ma lecture du moment est celle du récit d'un mien arrière-grand-père, Ariste, écrit entre 1942 et 1945. Il y raconte son enfance "en Orient" : né à Smyrne en 1890 et grandi à Antioche où son père était venu pour affaires, s'était marié à une demoiselle de Smyrne originaire de Trieste semble-t-il - mais élevée de la meilleure manière et qu'on aurait pu croire "une parisienne" - et avait été nommé vice-consul de France.

Ariste parle d'un serviteur de son père, son "cawas" d'origine "ansarieh", un fellah disait-on, un serf dans cette société diverse et cloisonnée d'Antioche, mais "qui parlait français, écrivait le turc et l'arabe, était intelligent, débrouillard et s'ingéniait à rendre maints services". Bref, bien plus compétent que le principal notable grec orthodoxe que le vice-consul (mon bisaïeul si je compte bien) avait tout d'abord choisi pour drogman : interprète, porte-parole et ici également employé pour les affaires commerciales (la correspondance en turque et en arabe principalement). Chakir, c'est le nom du cawas ansarieh, sera donc nommé drogman officiel du Consul de France, un poste jamais auparavant occupé par quelqu'un de sa caste si j'ose dire, "passant brusquement du rang de domestique à celui de notable". "Un véritable tour de force" et un "fait particulièrement remarquable" nous dit Ariste (mon aïeul) (scusez, j'essaye de ne pas me perdre, ils s'appellent tous Ariste) (cet Ariste-là a menacé son fils aîné, François, de le déshériter s'il appelait son propre fils Ariste) (et mon oncle s'appelle Jean-François, Ariste).

Ariste raconte comment, grâce à l'amélioration de sa condition, Chakir finit tout de même par s'acheter un terrain et se faire construire une maison entourée de hauts murs, ce qui provoque l'excitation des enfants du Consul, avec un brin de jalousie. Mais le jour de la visite inaugurale ils découvrent un bâtiment de bric et de broc, sans plan, accumulation de pièces tout aussi petites et sombres que celles du logement du quartier fellah que la famille quittait...

Puis Ariste raconte une aventure qui marqua la vie de Chakir, et même si le récit est un peu teinté de supériorité européenne l'histoire est assez délicieuse, et paraît avoir été vécue et racontée de cette manière par l'intéressé. Je vous la livre :

Chakir eut bientôt une autre et importante raison de fierté. Dans un pays où rares sont ceux qui sont appelés à quitter la ville qui les a vus naître, où les plus favorisés ou les plus hardis ne sont allés qu'à Alexandrette, ou Alep ; chef-lieu du département, ou plus rares encore sont ceux qui sont allés jusqu'à Constantinople, mais où personne n'a jamais été, ni même rêvé d'aller en Europe, Chakir eut la chance inespérée de pouvoir faire un voyage en France.

Il dut cette aubaine à des circonstances bien particulières. Une mission de haras français venue en Syrie à la recherche de quelques beaux étalons arabes passa par Antioche où elle acquit quelques bêtes de prix. Le chef de la mission avait par ailleurs mandat d'acheter un étalon pour l'un de ses amis, châtelain en Normandie, grand éleveur de chevaux de race.

Une organisation était prévue pour le transport des chevaux destinés aux haras, que des palefreniers français devaient accompagner jusqu'à destination. Dans un sentiment de délicatesse, qui l'honorait, le chef de la mission se refusait à joindre le cheval destiné à l'éleveur normand au convoi qui devait ramener en France les achats faits pour le compte de l'Etat. Il fallait donc trouver à Antioche un homme assez débrouillard pour accompagner un cheval, le soigner en route, assurer son embarquement et son débarquement, puis l'acheminer jusqu'à destination.

Ce n'était pas chose commode. On faillit renoncer à conclure un achat, quand Chakir qui servait d'interprète se proposa lui-même.

Grande hésitation de ces messieurs des Haras. Le drogman du Consulat faire office de palefrenier. Qu'importait à Chakir, il savait soigner les chevaux, il parlait le Français, il était débrouillard. Il lui fallait voyager sur le pont, qu'importe, il insista, il fit céder les résistances. L'achat conclu, il fut désigné pour accompagner le cheval jusqu'en Normandie.

L'éblouissement que cet homme rapporta de son voyage fut inconcevable. Volubile, il racontait à tout le monde ses impressions et ses aventures, et on l'écoutait avec plus d'attention qu'on l'aurait fait de mon père, car Chakir était du pays, ses impressions étaient celles que ses compatriotes auraient ressenties eux-mêmes. Plus proche d'eux, il était mieux compris, et on le crut davantage.

Il faisait des villes qu'il avait traversées, sans du reste en visiter les monuments, des descriptions homériques. Il expliquait ce qu'étaient les immeubles, les hôtels, les appartements et leur confort, la largeur et l'animation des rues, leur propreté. Il se perdait en longs commentaires sur l'éclairage électrique, inconnu à Antioche, mais on se refusait à le croire. Comment, on bascule un bouton, et des lampes s'éclairent sans pétrole, sans allumettes, c'est impossible ou c'est une diablerie.

Mais l'objet de son plus profond étonnement fut le château normand où il mena son cheval. Cette immense bâtisse somptueuse, perdue dans les frondaisons d'un grand parc l'étonna jusqu'à l'extase. Les allées sablées, les pelouses, les pièces d'eau, les statues, les fleurs, lui parurent un luxe inconcevable.

Il fut reçu au château avec courtoisie, mais au moment d'y pénétrer avec ses gros souliers couverts de poussière, il fut pris de scrupule. Il voyait pour la première fois de sa vie des parquets cirés, reluisants, et d'instinct, il voulut quitter ses chaussures comme à l'entrée d'une mosquée. On eut grand'peine à l'en dissuader. Puis, on lui montra sa chambre, probablement une chambre de domestique dans les combles. Il protesta, ne s'estimant pas digne d'une telle attention. Il pouvait bien coucher à l'écurie, sur une litière, près du cheval.

On dut insister vivement pour le faire céder, mais quand, la porte fermée, il se trouva seul, son premier geste fut de s'asseoir à terre, d'enlever ses chaussures, et d'avancer pieds nus sur le plancher. Puis il contempla le lit. Ce lit, où des draps blancs et frais l'attendaient. L'oreiller était de plume. Etait-ce possible ? Chakir, ce sale fellah, allait-il se coucher dans un lit princier ? Il s'y refusa et humblement, il s'étendit tout habillé sur la descente de lit, où il dormit l'âme en paix, conscient d'avoir évité une profanation.

C'est en ces propres termes que lui-même nous raconta cette histoire, à la grande joie de mon père, et à la nôtre.

Après quelques jours de repos au château, Chakir prit le chemin du retour. Un arrêt à Lyon, une visite à mes tantes, le bateau, Antioche où il devait continuer son rêve, l'amplifier même au cours de ses récits.

Il avait rapporté de son voyage deux mauvais chromos encadrés, représentant des rues de Paris. Il les conserva pieusement, et accrochés sur les murs nus de sa maison, ils représentaient le souvenir tangible de son voyage féérique.

" Quand j'étais en France... " racontait-il, et le cercle des amis se taisait pour l'entendre...


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