Mercredi 26 août 2015 à 19:30

Je lis en ce moment Remonter la Marne de Jean-Paul Kauffmann.
Ça me passionne moins que ce que je pensais ou espérais, mais enfin l'auteur a des lettres, écrit fluidement et agréablement, et j'ai particulièrement aimé cette réflexion sur le français, alors que l'auteur-marcheur arrive à Meaux, sur les terres de Bossuet :

Notre langue est portée naturellement à la grandiloquence, à la laque, à la parure, à l'amidon. "Trop de cosmétique" se plaignait Martin du Gard qui répugnait, dans ses livres, à utiliser des produits de beauté. Bossuet fait preuve d'une efficacité sans égale mais il aimait aussi bousculer les mots. Le bousculé, c'est peut-être cela, l'idéal. Une certaine imperfection, en tout cas de négligé - pas de négligence - que Jacques Rivière a parfaitement définie : "Je ne sais quoi de dédaigneux de ses aises, d'à moitié campé, de précaire et de profond, l'incommodité des situations extrêmes. Un esprit toujours en avant et au danger." Un modèle comme Saint-Simon commet lui aussi nombre d'incorrections et n'hésite pas à malmener la langue. Ce côté risqué, inconfortable, est ce qui convient le mieux au français. Quelque chose d'expéditif, de dégagé dans la tenue. Une forme de desserrement, venu sans peine. Pour moi le comble de l'élégance, la grâce. Mais il ne faut pas que cela se voie.

La citation de Jacques Rivière est tirée des Carnets (1914-1917), Fayard, 2001.

Lundi 30 mars 2015 à 0:52

Ma mère est morte.
Maman est morte.
 Ma maman est morte.
Sa maman est morte doivent dire les autres.
Sa mère est morte.
Ta maman est morte.
Elle est morte.

Ca ne fait toujours aucun sens.

Mardi 18 février 2014 à 0:43

Ils sont quatre, il y a le père qui est français, la mère qui est polonaise. Ils ont une fillette de 6 à 8 ans, née à Belfast, et un petit garçon de 6 mois, né à Dublin. Ils sont à côté de moi dans l'annexe consulaire de l'ambassade de France à Dublin où je viens faire refaire mon passeport.
Ils viennent eux faire inscrire le plus jeune sur le passeport de ses parents, ou bien lui faire faire son propre passeport, et je crois le déclarer à l'état civil du même coup.
Ils voudraient qu'il ait le nom de ses deux parents accolés, le français puis le polonais ; et comme sa grande sœur n'a que le nom de son père pour l'instant, ils veulent en profiter pour faire inscrire le nom de sa mère sur son passeport à elle aussi, que les deux frère et sœur aient le même nom.

On leur explique d'abord que comme leur fille est née à Belfast, ce sont les lois du Royaume-Uni qui s'appliquent et que c'est techniquement au pays de Lilibeth number Two qu'elle a été déclarée, il faudrait donc aller voir l'ambassade anglaise à Dublin pour ça. Et puis, l'enfant a déjà au moins 6 ans, et il fallait la déclarer dans les 4 ans suivant sa naissance,  maintenant ça devient une autre paire de manche, il faudrait les papiers de la clinique, tout ça.

Vous ne comprenez pas comment il se fait qu'elle ait un passeport mais ne soit pas déclarée ? Moi non plus. De même que les parents visiblement. Et puis si ça se trouve elle n'a pas de passeport encore, il faut lui en faire faire un à elle aussi ; mais si on sait qu'elle n'a que le nom de son père pour le moment, c'est bien qu'elle a un papier d'identité, déjà. Que manque-t-il donc ? Tout le monde patauge, mais il y a cette histoire des 4 ans qui sont dépassés.
On s'enfonce assez vite dans les logiques si évidentes et si opposées de l'administration face à la vie et de la vie face à l'administration. Ça évoque une litanie de documents et de démarches qui font pâlir les spectateurs.
Ils sont deux maintenant du côté de l'administration, le père est accoudé face à eux, le petit est dans son siège par terre, la maman est assise en face de la vitre ou debout, la grande sœur passe des genoux de la mère à ceux du bébé qu'elle veut amuser. Les parents communiquent en anglais. 

On passe à la question du nom du petit garçon. Celui du père puis celui de la mère, c'est ça ? Oui, donc le nom de la mère s'il vous plaît, K....A. Mon fils doit donc s'appeler K...I.
Ah ben ce n'est pas possible madame, dit l'État-Civil par deux voix, sinon il n'a pas le même nom que vous.
Mais ce n'est pas possible répond la mère qui en écarquille les yeux, c'est complètement absurde, c'est un garçon, donc il doit avoir son nom qui termine par un i, c'est comme ça que ça se passe en Pologne, il ne peut pas avoir le nom de sa mère, c'est ridicule.
Mais non madame, il doit avoir exactement le même nom que vous, à la lettre près, on ne peut pas changer une lettre.
Mais ça n'a aucun sens, mon nom sous sa forme actuelle est fait pour être porté par une fille, ce n'est pas un nom de fille, c'est un nom pour les filles, mon fils ne peut pas porter mon nom sous sa forme féminine !

L'État-Civil reste inflexible et répète à deux voix que le nom de l'enfant doit être le même que celui de la mère, toutes les lettres doivent êtres les mêmes.

Mes démarches sont terminées, je pars sans savoir ce qu'il adviendra des deux logiques, et de cette femme qui voudrait que son fils porte son nom, son nom comme il doit être porté en Pologne, qui voudrait que son fils porte le nom qu'il doit avoir dans son pays maternel, tout simplement.
Peut-être auraient-ils dû commencer par l'ambassade polonaise... Et encore.

Dimanche 17 mars 2013 à 16:37

 J'avais promis il y a très longtemps la suite de ce billet-ci.
"Perles" de traduction récoltées par une de mes professeurs de linguistique de Nanterre...

Dans un hôtel de Tokyo : "Est interdit de voler les serviettes de l'hôtel s'il vous plait. Si vous n'êtes pas le genre de personne à faire une telle chose est, s'il vous plaît ne pas lire la notis." Dans un ascenseur de Leipzig : "N'entrez pas dans ascenseur de reculons, et seulement si allumé." Dans l'ascenseur d'un hôtel de Paris : "Veuillez laisser vos valeurs au bureau de devant." Dans un hôtel de Yougoslavie : "L'aplatissement des sous-vêtements avec plaisir est le travail de la femme de chambre." Dans le lobby d'un hôtel de Moscou, en face d'un monastère orthodoxe russe : "Vous êtes le bienvenu à visiter le cimetière où des compositeurs, artistes et écrivains russes célèbres sont enterrés tous les jours sauf le jeudi." Dans un hôtel japonais : "Vous êtes invités à profiter de la femme de chambre." Dans un hôtel autrichien près des pentes de ski : "Ne pas préambuler les corridors pendants les heures de repose en botte d'ascencion." Chez un nettoyeur de Bangkok : "Laissez tomber vos pantalons ici pour de meilleurs résultats." Sur le menu d'un restaurant polonais : "Salade une fabrication de la firme ; soupe de betterave rouges limpide avec boulettes fromageuses dans la forme d'un doigt ; canard rôti laissé lousse ; tranches de boeuf battu à la façon des gens de la campagne." Extrait du "Soviet Weekly " : "Il y aura une Exhibition d'Arts de Moscou par 150 000 peintres et sculpteurs de la république slave. Ceux-ci ont été exécutés au cours des deux dernières années." Dans un hôtel de Zurich : "A cause de l'inconvenance des invités de divertissement du sexe opposé dans les chambres, il est suggéré d'utiliser le lobby pour cette intention." Dans une publicité d'un dentiste de Hong-Kong : "Dents extraites par toutes les dernières méthodes." Dans un temple de Bangkok : "Il est interdit d'entrer une femme même un étrang-re si habillée comme un homme." Dans une auberge suisse de montagne : "Spécial aujourd'hui : pas de crème glacée." Dans un bar de Tokyo : "Cocktails spéciaux pour les femmes avec noix." Dans un zoo de Budapest : "S'il vous plaît ne pas nourrir les animaux. Si vous avez de la nourriture appropriée, donnez la au gardien de service.

Le pire me semble être que ce n'est pas toujours la traduction qui est en cause. Et en dehors des cas franchement rigolos, on se dit parfois qu'on pourrait trouver des formulations bien trop proches de celles-ci et aussi hasardeuses dans des pays francophones !
Tout ce qu'on peut faire s'il manque une virgule !

J'espère que ça vous a plu en tout cas :o)

Lundi 16 août 2010 à 23:04

Comment je m'appelle ?
M., deux ans demain, est assis sur la table à langer, la couche bien scotchée sur les hanches, enfin propre et sec et en pyj et tout. 
- Comment je m'appelle ?
Et je voudrais vérifier s'il connaît mon prénom.
- Toi c'est M. et moi c'est... ??
Mais il préfère pointer le doigt vers les trucs rouges qui ont élu domicile sur mon menton, bien contre mon gré.
- Bouton...
- C'est pas ma question ça bonhomme. C'est quoi mon prénom ?
- Bouton...
- Purée je te babysitte depuis ta naissance, cette année je suis allée te chercher tous les lundis à la crèche, à devoir montrer patte blanche, à attendre le mois de janvier que tu me reconnaisses vraiment et que ça fasse moins kidnapping ; en ce mois de juillet je vais te récupérer tous les jours absolument et tu peux pas trouver mon prénom !?
- Bouton ?
- Non je m'appelle pas bouton, non.
Et là, au moment où je vais me résigner, il baisse la tête et le doigt accusateur qu'il tendait vers mon menton pour pointer mon gilet :
- Boutons !
Oui !! Magnifique, incroyable, que c'est beau, l'émergence d'une conscience métalinguistique comme un lever de soleil éclatant et prometteur sur le cerveau de cet enfant, j'ai la larme à l'oeil. Bravo bonhomme.
Ne jamais désespérer.
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